« SUITE »
Religion, morale et rigueur scientifique
L’erreur que commet
Geymonat sur ce point, semble assez répandue. On la retrouve en particulier chez quelques farouches adversaires « modernes » de
Galilée, tel
Arthur Kœstler. Celui-ci a écrit en 1955-58 un essai sur l’histoire de la cosmologie, dont il présente ainsi un des objectifs : «
En arrachant Copernic ou Galilée au piédestal sur lequel la mythographie scientifique les a placés [mon enquête]
contribue à combattre la légende selon laquelle la Science... est capable de trouver... un substitut rationnel aux intuitions morales qui proviennent d’autres sources » (
Les Somnambules. Essai sur l’histoire des conceptions de l’univers, Calman-Levy, 1960, coll. « Poche », p. 8).
Faut-il répéter qu’un tel «
substitut rationnel » ne peut exister, et qu’en cela – même si
son livre comporte d’autres aspects plus intéressants, notamment une biographie de
Kepler –
Kœstler combat des moulins à vent ? Lui-même, d’ailleurs, est amené à se contredire radicalement, puisqu’il dénonce ensuite «
la scission entre valeurs intellectuelles et valeurs morales, caractéristique de nos derniers siècles... pleinement développée dans la neutralité éthique du déterminisme moderne » (
ibid, p. 416).
Il est vrai que les sciences, précisément quand elles respectent leur propre autonomie – leur «
neutralité éthique » – interrogent la « transcendance » (donc la permanence) de toute «
source d’intuition morale », tant antireligieuse que religieuse. Mais ce qui est périlleux, c’est au contraire quand elles se subordonnent de manière irrationnelle – comme la « science historique » que
Kœstler lui-même déploie dans
Les Somnambules quand il parle de
Galilée – à quelque « transcendance » que ce soit, d’ordre spirituel, mystique, patriotique, positiviste, scientiste ou autre.
(1)
Ainsi, les théologiens d’hier et d’aujourd’hui, « de leur point de vue de théologiens » ont en réalité « parfaitement tort » de freiner une évolution qui n’est « dangereuse » que pour leur pouvoir, et non pour leur fonction.
De plus, personne ne peut considérer les histoires – entremêlées – de la rédaction des évangiles et de l’homme réel
Jésus, et leur étude scientifique, comme de simples «
problèmes moraux ou religieux ». Nous voilà donc devant l’histoire de l’homme
Jésus et celle de la naissance du christianisme, comme
Galilée devant les « phénomènes naturels » du cosmos ?... Pas tout à fait car nous, téléspectateurs, – pas plus que les experts interrogés – ne pouvons être exactement « devant » ces phénomènes religieux, culturels et humains : nous sommes en partie « dedans », ou du moins pris dans leurs conséquences actuelles. S’il est utile et même nécessaire que nous prenions une certaine distance par rapport à eux, il ne faut pas espérer avoir une distance absolue, une objectivité totale.
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(1) Ce livre impressionne par sa documentation. Mais son analyse de la première œuvre célèbre de Galilée (le Sidereus Nuncius) comporte de grossiers mensonges, et une citation amputée de ses mots essentiels (ibid. pp. 432-433). Et cela pour dénoncer tout ce qui « sépare », et prôner une « synthèse pythagoricienne entre sciences et religion ».
Pour une critique détaillée de cet ouvrage, voir la note infra.