La recherche historique de Jésus

L’époux et les amis des noces

   Interrogé sur la raison qui dispensait ses disciples de pratiquer le jeûne, Jésus répondit : « Les amis de l’époux peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux ? » (Mc 2:19 ; Mt 9:14 ; Lc 5:34). On peut penser que ces paroles sont mises dans sa bouche par la tradition évangélique, qui a vu en lui l’époux messianique. L’historien devrait donc les mettre entre parenthèses.
   Je pense cependant qu’il s’agit d’un logion de Jésus, qui exprime la forme primitive de sa personnalité prophétique. Jésus se présente comme époux, transformant sa situation d’existence en parabole de son message.

   Cela peut paraître étrange aujourd’hui, mais c’était tout à fait cohérent pour un prophète qui s’inspirait d’Osée. En effet, celui-ci avait exprimé dans la situation de son mariage l’essence de son message prophétique : il avait épousé Gomer, une prostituée, puis une femme adultère et prostituée, en exprimant dans cette union l’amour de Dieu pour Israël.
   Le second mariage d’Osée était destiné à rester ouvert comme une parole prophétique. Osée s’était uni à cette femme adultère pour exprimer que Dieu aimait toujours Israël, malgré son infidélité, mais qu’il ne reviendrait que quand Israël, adultère repentie, aurait été touchée par son amour, parole prophétique même après la mort du prophète.
   Or Jésus exerce sa mission prophétique en jouant dans sa vie le rôle de Dieu époux, et il joue ce rôle, comme Osée, dans une relation réelle de mariage.

   L’occasion de ce mariage lui a été offerte dans la maison de Simon (Lc 7:36-50). La pécheresse qui reste à ses pieds, les mouillant de ses larmes et les essuyant de ses cheveux, n’est pas seulement une prostituée demandant à être pardonnée, mais aussi une femme qui demande qu’il l’aime parce qu’elle l’aime. Son comportement dépasse l’attitude d’une personne pénitente, mais est propre à la femme aimante : elle s’offre à lui comme servante amoureuse, rachetant sa prostitution par l’offre de sa fidélité d’amour.
   L’apparition de cette femme fut pour Jésus, déjà épris du message d’Osée, une confirmation de sa vocation prophétique. Cette prostituée ne pouvait être que l’accomplissement de la seconde femme d’Osée : une prostituée et adultère qui se lie au prophète par amour, une prostituée que Dieu élève jusqu’à représenter son épouse, Israël, en raison de son amour.
   Jésus ne pouvait répondre à la demande de cette femme que par l’amour. Il devait y répondre comme homme et comme prophète : Dieu l’appelait à jouer le rôle d’époux et à faire de ces noces la parabole, l’image, des noces de Dieu avec Israël. La seconde femme d’Osée recevait finalement un nom : Marie.

   En raison de ce caractère symbolique, les noces de Jésus avec Marie créèrent l’atmosphère de son message. De même qu’il jouait le rôle d’époux, de même ceux qui répondaient à son message jouaient le rôle d’amis de l’époux. C’était la fête autour de lui, tout le monde devait être pris par la joie que Dieu ait conclu une nouvelle alliance d’amour avec son peuple et qu’il trouvé ce peuple fidèle à son amour. Marie devenait l’image de l’épouse : épouse du prophète, elle était l’image de l’épouse de Dieu. Non, les amis de l’époux ne pouvaient pas jeûner !
   C’est à ces noces que Jésus appela « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » (Lc 14:13), bref tous ceux qui sont en marge de la société. Mais en appelant ceux-ci, il rejette les autres, les scribes et les pharisiens, les sains, les maîtres, les justes (Lc 14:15-24).