ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La recherche historique de Jésus





Sous le Christ, Jésus :
Quelques traits de Jésus


Sommaire

Parole de Dieu et recherche historique

Méthode d’approche référentielle

Discours religieux et analyse référentielle

Croire et penser

Esquisse d’un portrait de Jésus
- Objectifs de l’ouvrage
- La méthode
- Quelques traits de Jésus
  . Le bâtard
  . La vocation prophétique
    - La crise
    - La vocation
    - Dans le désert
      . Introduction
      . L’épreuve
      . Jésus survit
      . Le prophète accrédité
    - L’époux et les amis
    - Le message
  . La décision politique
  . La Pâque
  . La mort

Les évangiles, tombeau de Jésus




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Jésus dans le désert :
le prophète accrédité


   Le temps que Jésus a passé de sa sortie du désert au retour en Galilée serait resté tout à fait inconnu, si le quatrième évangile n’y avait fait allusion derrière un récit allégorique. L’allégorie porte sur une semaine, dont chaque jour est marqué par une manifestation du messianisme de Jésus.
   Dans les trois premiers jours (Jn 1:29-34), Jean manifeste en Jésus le sauveur du péché, dans le quatrième (Jn 1:35-39) ce sont les disciples de Jean qui le reconnaissent comme tel et qui le suivent, dans le septième (Jn 2:1-12), c’est Jésus lui-même qui se révèle comme Christ, aux noces de Cana. Mais, puisque l’allégorie est une métaphore prolongée qui se fonde, souvent, sur des données d’expérience qui lui servent de support, il est légitime de rechercher si ce récit, dans son fond littéral, se rapporte à des faits historiques.

   Le verset relatif à la deuxième journée dit : « Le lendemain, il (Jean) vit venir Jésus venant à lui, et il dit : Voici l’ange de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jn 1:29). Jean voit Jésus qui vient à lui, le verbe « blepo » exprimant la sensation de la vue d’une chose qui se présente devant les yeux. Jésus n’était pas attendu, puisque Jean n’a pas cherché à le voir et ne l’a pas regardé : la venue de Jésus est un phénomène qui reste en-dehors du champ de son attention.
   D’où vient Jésus ? Le texte ne le dit pas : il ne comporte pas de lieu ni d’événement qui puisse nous suggérer son point de départ. Pourquoi vient-il chez Jean ? Pas pour se faire baptiser, puisque Jean ne le baptise pas, pas plus pour avoir une con­versation avec lui, puisque les deux protagonistes ne se rencontrent pas. Au niveau de l’allégorie, cette venue n’a de sens que pour justifier un nouveau témoignage de Jean au sujet du messianisme de Jésus, dans un but purement christologique.
   Derrière l’allégorie théologique, la venue de Jésus chez Jean demeure, dans une intentionnalité sémantique. Elle est dépourvue de sens, parce que l’auteur du quatrième évangile l’a soustraite de son contexte historique pour la rendre disponible pour l’allégorie. Mais elle devient historiquement compréhensible si l’on suppose, selon le schéma fondamental de notre lecture des textes, que Jésus vient chez Jean au moment justement où il sort du désert. L’auteur du quatrième évangile a tout intérêt à passer sous silence ce contexte, puisqu’il montre que Jésus avait été baptisé par Jean puis chassé dans le désert, Jésus se rendant chez Jean pour lui montrer qu’il a survécu à l’épreuve et qu’ainsi Dieu l’a accrédité comme prophète.

   Le texte sur la deuxième journée est susceptible de nous offrir d’autres informations. « Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples, et, ayant regardé Jésus qui passait, il dit : voici l’agneau de Dieu. Les deux disciples l’entendirent prononcer ces paroles et ils suivirent Jésus. Jésus se retourna et, voyant qu’ils le suivaient, il leur dit : que cherchez-vous ? Rabbi (ce qui signifie maître) où demeure-tu ? Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent et ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la sixième heure » (Jn 1:35-39).
   Arrêtons-nous d’abord au sens allégorique. Encore une fois, Jésus se trouve là et, comme par hasard, passe devant Jean. Mais cette fois, Jean n’est pas seul mais en compagnie de deux disciples. En outre, Jean ne se contente pas de « voir » (blepein), mais il « regarde » (emblepein) Jésus qui passe, comme s’il voulait projeter la lumière de ses yeux sur ceux de Jésus, lui transmettant la prophétie messianique dont il est porteur. Jean renouvelle le même témoignage que le jour précédent, mais tandis qu’alors ce témoignage n’était que « signifiant » et apophantique, ici il est « révélateur », il rejoint son référent. Toute sa force repose sur l’adverbe « idé » (voici), en sorte que ceux qui l’écoutent – les disciples de Jean – ne le comprennent plus par le biais du signifié des mots, mais par la perception immédiate de son référant. Les mots sont compris par la perception de la réalité, et non la réalité par les mots. Désormais, les disciples ne peuvent que suivre Jésus et quittent Jean : ils quittent la parole pour suivre la réalité, ils abandonnent la prophétie pour vivre son accomplissement, le prophète cède la place au « maître » de vérité.
   Comme Jean, Jésus à son tour « regarde » ces premiers disciples, mais il s’agit d’un regard différent de celui de Jean. Pour le Baptiste, le texte emploie le verbe « emblepo », et pour Jésus « theasaomai » : alors que Jean pose ses yeux sur Jésus, celui-ci pénètre de ses yeux, discerne, contemple, ses disciples, c’est-à-dire qu’il les regarde dans une vision qui n’est pas celle des yeux de la chair. C’est ce regard qui suscite dans les disciples le désir et la possibilité de « voir » Jésus : non pas dans le sens propre au verbe « blepo », mais « orao », vision correspondant à la christophanie, à la manifestation de Jésus comme Christ. Pour cela, les disciples veulent savoir où Jésus « demeure » (menei) mais nous savons, selon le même évangile, qu’il demeure « auprès du père » (Jn 16:28) ; les disciples vont dans cette demeure, dans la révélation du père : on ne peut connaître Jésus comme Christ que dans la vision d’une théophanie du père.
   « C’était environ la sixième heure » (Jn 1:39). L’allégorie nous permet de joindre les temps différents du présent et du futur. La sixième heure, c’est la pointe du jour de la passion, de la manifestation de Jésus comme agneau de Dieu, ici c’est l’heure de la première foi dans cette manifestation, l’aube de la naissance de la foi.

   L’allégorie s’appuie sur une trame d’action, où nous constatons que Jésus a une demeure fixe, qu’il circule sur les lieux de l’activité de Jean, et que des disciples de Jean le suivent en le reconnaissant comme « maître ». Cette trame aurait-elle seulement une valeur littéraire, ou rejoindrait-elle un contexte historique, voire même biographique ?
   Le fait que les disciples de Jean, en suivant Jésus, l’appellent « maître » (didascale) semble se référer à l’un des événements qui avaient marqué l’origine de l’Église par rapport à la communauté des baptistes. Nous avons vu en effet que l’Église était issue du baptisme au point de ne pratiquer, au début, que le baptême de Jean, et que, d’autre part, elle n’avait pu reconnaître que Jésus était le Christ qu’en reniant Jean comme maître de vérité. Il se peut donc que l’auteur du quatrième évangile ait voulu traduire dans l’épisode des deux disciples de Jean l’affinité et la tension entre l’Église et le baptisme.

   Si on porte notre attention sur les connotations du texte, il est possible d’affirmer qu’il se rapporte aussi à des faits biographiques de Jésus concernant la période précédant son voyage en Galilée.
   Nous avons déjà relevé que les disciples de Jean demandent à Jésus où il demeure et qu’ils le suivent. Le terme employé, « menei », est sans doute théologique, donnant au récit un sens allégorique, mais il a aussi un sens littéral. Jésus « demeure » sans pour autant avoir une maison, que ce mot semble volontairement éviter dans la mesure où les disciples ne vont pas dans la maison de Jésus mais « restent (emeinen) auprès de lui » (Jn 1:39). La demeure de Jésus n’est donc pas une habitation, mais un emplacement, un lieu, qui permet de se fixer, de « rester ». Cette précision semble bien correspondre au séjour de Jésus dans le désert, à la façon de Jean qui, selon Josèphe, habitait comme ermite dans le désert.
   Dans la première journée, Jean voit Jésus « venir vers lui », dans la deuxième il voit Jésus qui se promène. Or le texte emploie le verbe « peripatein », qui ne signifie pas seulement « se promener », mais « se promener en conversant ». Rappelons que ce terme avait déjà marqué l’école aristotélicienne, puisque le maître enseignait en se promenant. L’emploi de ce verbe nous autorise donc à penser que Jésus, tout en ayant une demeure, circulait avec des gens venus pour l’écouter et qu’il avait fondé une école. Il agissait en « maître », et maintenant il ne pouvait pas craindre d’usurper cette fonction, même en face de Jean, puisque son épreuve dans le désert l’avait accrédité au nom de Dieu. Cette fonction de maître est confirmée par le fait que les disciples de Jean le suivent : « ecolootesan », ce verbe désigne dans la littérature néotestamentaire le fait de suivre un maître, un prophète, le Christ, suivre d’une façon physique et spirituelle, se mettre au service du maître et vivre selon son enseignement.



c 1990




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tf253233 : 13/05/2019