Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
- Introduction
- Jésus, la contradiction
- Les références bibliques
- Syméon le vengeur
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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Les références bibliques
Si l’on suit les références bibliques qui entrent en jeu dans ce récit, on découvre que l’image et le mot de l’épée (romfaraia) sont tirés du récit de Judith. Avant de se risquer dans son entreprise, l’héroïne avait invoqué son Dieu en lui demandant de lui donner le même esprit qui avait mis l’épée dans la main de son ancêtre Syméon lorsqu’il avait vengé sa sœur Dina en tuant tous les habitants de Sichem (Jdt 9). Or Luc avait déjà assimilé Marie à Judith, et Syméon apparaît dans le drame de Marie en raison précisément de cette assimilation.
L’épée qui transperce l’âme de Marie est donc celle de Syméon. On trouve ici l’intrigue d’une puissante tragédie, puisque ce Syméon est celui-là même qui parle à Marie et qui tient dans ses bras son enfant. Mais au lieu que son épée se dresse contre les ennemis de Marie, elle retombe sur Marie elle-même. Ici est l’acmen tragique !
Sans doute, cette matière tragique ne parvient-elle pas à devenir drame au niveau du récit, dont l’écriture est théologique, mais si on suit le jeu de succession et de transposition des images au lieu de lire les mots, le drame tragique se donne à voir dans toute sa violence et son intensité.
Il convient de distinguer le temps et les instances du jeu des images. Dans un premier moment, c’est la parole-épée – le contre-discours – qui blesse l’âme de Marie, c’est-à-dire du personnage de la vierge Marie. Mais au moment même où la vierge Marie s’éclipse, son double – la femme « trouvée enceinte » – surgit de l’invisible de l’imaginaire. En effet, celle-ci restait renfermée au niveau du non-dit et non-vu par la pression exercée par son image opposée. L’espace imaginaire devenant vide, elle émerge, exigeant d’exister comme personnage.
On doit aussi dire qu’elle apparaît dans la mesure où elle est appelée par le contre-discours car si son double – la Marie vierge – avait été le support du discours, elle était bien la personnification originelle du contre-discours. Sur quoi les juifs s’étaient-ils appuyés pour condamner Jésus comme faux prophète et faux Christ, sinon en dernière analyse sur la conviction qu’il était un bâtard ? La croix n’était que l’aboutissement de l’anti-discours suscité par cette Marie-là, qui ne pouvait pas ne pas apparaître, comme un fantôme, dans l’imagination de l’écrivain. Ayant cherché tout au long de son récit à refouler la femme « trouvée enceinte » au niveau de l’oubli, au risque de déshumaniser l’autre Marie, l’auteur du récit, arrivé au bout de sa démarche, voit cette femme apparaître comme unique personnage du drame.
C’est à ce moment qu’apparaît Syméon. Son rôle ne peut être que celui de venger la virginité violée, par une épée sanglante. Il a pris son épée en main pour venger sa sœur, mais aussi pour préserver l’honnêteté de Judith. Maintenant il serre cette même épée – mais il semble la lancer, cependant qu’il reste dans l’ombre – pour rendre justice à la vierge Marie violée par l’anti-discours. Mais au niveau de l’imaginaire, cet anti-discours n’est pas supporté par les juifs et les pharisiens, mais par l’image de Marie « trouvée enceinte », qui émerge dans l’espace laissé vide par l’autre Marie. C’est elle qui a été à la source de l’anti-discours, la cause de l’échec de Jésus et l’occasion de sa mort ainsi que de la disparition de la vierge Marie. Ainsi l’épée, se surchargeant de la vengeance de Syméon, retombe-t-elle sur la Marie trouvée enceinte, de même qu’elle avait transpercé l’âme de la vierge Marie.
De même que Jésus ressuscitera d’entre les morts, la vierge Marie pourra à nouveau vivre, en sortant du tombeau de la Marie trouvée enceinte. Elle pourra vivre, cette fois-ci, éternellement, puisqu’elle n’aura plus de double. Son corps corruptible est détruit, pour qu’elle ne revête que le corps incorruptible du personnage de la vierge-mère.
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