Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
- Introduction
- Jésus, la contradiction
- Les références bibliques
- Syméon le vengeur
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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Syméon, vengeur de la virginité violée
Il peut paraître étrange qu’un personnage aussi saint que Syméon ait pu cacher une épée sous son manteau dans le but de tuer Marie, mais Luc l’a fait venir au temple avec cette intention. Si son action demeure insaisissable à la lecture, c’est qu’il ne tue pas Marie au niveau de l’énoncé du récit, mais dans l’infrastructure de son imaginaire : tandis qu’il s’approche de Marie pour recevoir l’enfant, son double la tue au niveau de l’imagination. Cependant, il ne tue pas la vierge-mère présente au niveau de la parole, mais son double, la vierge trouvée enceinte.
Le tragique apparaît aussitôt qu’on joint les deux instances du récit, sa prophétie sur Marie est la manifestation de son double rôle à l’égard des deux Marie.
Selon la nature de son personnage, Syméon n’a d’autre argument de persuasion que son épée. Si nous le placions seulement au niveau de la parole dans l’acte de recevoir l’enfant des mains de Marie, il n’aurait aucune crédibilité ; il devient au contraire crédible si on lui permet d’agir selon son propre rôle, c’est-à-dire venger l’honneur et la honte qu’a subi la vierge-mère dont il serre l’enfant dans ses bras. Or il ne peut la venger qu’en blessant à mort son double, la Marie « trouvée enceinte », cette ombre d’elle-même qui la poursuit sans répit.
Il est opportun de se demander pourquoi ce tragique reste au niveau du schéma imaginaire, sans se traduire en paroles. C’est sans doute à cause de la nature théologique du récit, qui conditionne le fait par le croire. L’action tragique de l’épée exprime la dialectique du croire : on ne pourrait croire en la vierge Marie si on ne trouvait pas la jeune-fille trouvée enceinte. La mort de celle-ci est la condition sine qua non de l’existence de l’autre. Pour croire, il faut que le réel s’inscrive dans le possible, que le fait prenne valeur de signe d’un événement de parole, et sortir de la situation de contradiction propre à l’histoire et à l’existence des hommes.
On ne pourrait comprendre Marie dans sa signification de vierge-mère sans renier notre être au monde pour ne vivre que de sa parole. La mort de l’autre Marie devient ainsi la marque du renoncement impliqué par le croire, de ce « sacrifice de l’intelligence » qui nous coupe de la relation au monde. L’évangile de la naissance n’est pas une tragédie, puisqu’il vise à conduire l’homme hors de la contradiction de sa propre existence, mais par là le tragique est renvoyé du texte à l’interprète, qui ne pourrait le comprendre sans passer par sa propre mort.
Si ces mêmes thèmes n’avaient pas été offerts à des théologiens comme Matthieu et Luc, mais à des poètes tels Eschyle et Sophocle, nous nous trouverions face à des tragédies. Au lieu de séparer les deux personnages, les plaçant dans des niveaux différents de l’écriture, ils les auraient situés en vis-à-vis et au même niveau de parole. Leur opposition aurait produit une tragédie, non plus de personnages créés en fonction d’une intention théologique, mais exprimant dans leur action la contradiction de l’existence humaine. On ne se serait pas approché de ces écrits pour échapper dans une visée de rêve, mais pour pénétrer en nous-mêmes. Cette parole nous aurait permis d’assumer le tragique et de le dépasser par une position concrète d’existence.
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