ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les récits de la naissance de Jésus





Lecture du récit de Luc :

Anne, la prophétesse


Sommaire

GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS

LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU

LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
- Introduction
- Le nom du personnage
- Le profil d’Anne
- La prophétesse
Marie gardait ces paroles

CONCLUSION



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Le nom du personnage



   Le nom du personnage nous donne à penser que, parmi les mères de l’alliance, Luc entend représenter en premier chef et d’une façon directe Anne, la mère de Samuel. D’ailleurs le texte biblique qui la concerne est une des références les plus fondamentales de son récit, qui s’inspire du cantique d’Anne pour articuler celui de Marie, et tire l’idée de la présentation de Jésus par Marie de la consécration de Samuel au temple faite par Anne. Ainsi les deux récits sont-ils liés, en ce que le second est une interprétation du sens prophétique du premier.

   Il est aussi possible de retrouver dans le texte biblique, surtout hébreux, des indices qui semblent justifier sa reprise interprétative par Luc. En effet, après qu’Anne ait amené l’enfant au temple de Silo pour le « prêter » au service de Dieu, le texte affirme qu’Elkana, son mari, rentre chez lui à Rama, mais se tait au sujet d’Anne. Celle-ci serait-elle restée au temple avec son fils, surtout s’agissant d’un enfant très jeune (1 S 2:11) ? De toute façon, le silence du texte à son sujet est étonnant, puisque c’était Anne et non Elkana le protagoniste de l’action.
   Il est vrai qu’aux versets 18 à 21 du même chapitre, on affirme que chaque année Anne se rendait au temple pour apporter une robe à l’enfant, et on dit aussi que, sous la bénédiction d’Éli, elle enfanta trois fils et deux filles, mais ce passage est douteux, puisqu’il rompt le fil logique du chapitre, centré sur l’infidélité des fils d’Éli et sur le reproche que celui-ci leur adresse. Tout au plus pourrait-il être placé au verset 11, au moment où Anne aurait dû se rendre à Rama avec son mari, car c’est alors que le souhait qu’Éli avait formulé à l’adresse d’Elkana aurait été adapté à la circonstance : « que l’Éternel te fasse avoir des enfants de cette femme pour remplacer celui qu’elle a prêté à l’Éternel » (1 S 2:20).
   Mais alors on pourrait conclure que nous nous trouvons en face de deux traditions, dont l’une laisse inachevée l’histoire du personnage, qui demeure lié à la cérémonie de la consécration, et l’autre a le souci de l’accomplir en harmonie avec les exigences propres à une femme stérile bénie par Dieu. Selon la première tradition, Anne reste un personnage mystérieux et prophétique, exclusivement lié à l’événement.
   Luc a pu s’inspirer de cette tradition. Prolongeant la présence d’Anne au temple jusqu’aux temps messianiques, il a fait d’elle la personnification de l’attente et de la prophétie du royaume. Anne ne pouvait pas ne pas se trouver au temple lorsque Jésus y fut présenté, puisqu’elle ne l’avait jamais quitté depuis qu’elle y avait consacré son fils. Anne et Marie se trouvent donc l’une au commencement, l’autre à l’aboutissement de la royauté messianique qui va de Samuel à Jésus.

   Ce rapprochement met en lumière et vise à résoudre un problème théologique qui était subjacent à l’accomplissement de cette royauté. Il convient de rappeler que, selon la tradition du livre de Samuel, l’institution de la royauté aurait été considérée par Dieu comme une atteinte à sa propre royauté, qu’il avait exercée sur son peuple de Moïse à Samuel : « Ce n’est pas toi – dit Dieu à Samuel – mais c’est moi qu’ils rejettent » (1 S 8:7). Ainsi, si par la suite Dieu promet à David de confirmer à jamais son trône, il faut le comprendre au sens qu’il n’entend pas abandonner à elle-même la royauté que le peuple avait choisie, mais l’assumer comme instrument de sa propre souveraineté. Le règne messianique impliquerait donc la réconciliation du pouvoir prophétique de Dieu avec le pouvoir des rois.
   Mais est-ce que l’infidélité originelle qui avait fondé cette royauté resterait impunie ? Nous retrouvons chez Osée la conviction que Dieu n’aurait pas repris l’exercice de son pouvoir sans avoir puni la défiance du peuple. « Où est ton roi ? – dit Dieu par la bouche du prophète – je t’ai donné un roi dans ma colère, je te l’ôterai dans ma fureur » (Os 13:10-11).

   Lorsque Luc écrit son récit, et au moment historique auquel celui-ci se réfère, cette fureur divine pouvait être considérée comme accomplie, puisque la Palestine était soumise au pouvoir romain ; les hommes qui, au temps de Jésus, détenaient le titre royal n’étaient qu’instruments de l’empereur. Aux yeux de Luc, cette situation était l’indice que les conditions de l’avènement de la royauté messianique étaient remplies. Jésus naissait dans une situation d’humiliation et de punition de la royauté davidique, qui le disposait à recevoir la royauté des mains de Dieu.
   Le contexte dans lequel Luc inscrit sa naissance fait d’elle l’événement qui marque l’instauration de cette royauté. En effet, Jésus naît d’une mère vierge, mais dans le cadre d’un mariage légitime avec Joseph, « de la maison de David ». Du côté de Marie, sa mère, Jésus n’est que le « fils de Dieu », il n’a rien qui puisse le rattacher à David, puisque d’une part Marie n’a pas eu de relation sexuelle avec Joseph, et que d’autre part elle est de Nazareth. Ainsi, par cette naissance, Jésus ne peut être héritier que de la royauté divine, celle de Moïse et de Samuel. Mais en tant que fils légal de Joseph, il se trouve aussi en droit d’hériter le trône de David.
   Jésus est donc roi à double titre, la royauté davidique ne devient éternelle que dans le cadre de celle de Dieu, autrement dit elle est assumée par l’instauration du pouvoir de Dieu.

   L’intervention d’Anne sur la scène de la présentation devient ainsi lumineuse. La mère de Samuel devient une figure essentiellement pro­phétique, image de Marie mère du roi messianique. Anne est donc réhaussée de la condition qu’elle avait dans le texte : sa prière à Dieu pour avoir un enfant, son cantique de victoire, deviennent messianiques, elle est la dernière mère du cycle de la royauté historique de Dieu sur son peuple, de même que son fils est le dernier représentant de la royauté de Dieu. La parenthèse ouverte par l’histoire des rois l’accule au temple, où elle n’a qu’une existence d’attente. Elle demeure la femme qui « était » dans le sanctuaire.
   Quant à Marie, elle est l’accomplissement d’Anne à la fin de l’histoire des rois et de leur humiliation. Elle est la mère de ce fils par lequel Dieu reprend son pouvoir dans le monde, sous le signe de la royauté davidique.

   Par-delà la théologie, il convient de voir dans ce texte une réponse à l’objection soulevée par les juifs contre le messianisme de Jésus, qui ne pouvait pas être le Christ parce qu’il n’était pas de la famille de David, étant un nazaréen, et de surcroît un bâtard.
   La naissance virginale voulait avant tout signifier que Jésus n’était pas un bâtard, mais un « fils de Dieu ». Elle voulait aussi montrer que l’héritage messianique ne se fondait pas à proprement parler sur la succession biologique de la descendance de David, mais sur la génération du « fils de Dieu » : l’appartenance du Messie à la famille davidique n’était que secondaire, moins élément essentiel que condition légale. Il faut rappeler à ce propos que chez Luc, lorsque Jésus entre à Jérusalem, le peuple ne l’appelle pas « fils de David », contrairement aux récits de Matthieu et Marc (Mt 21:9 ; Mc 11:10 ; Lc 19:36-37).
   Dans ce cadre, Anne intervient au temple comme le témoin le plus authentique de la royauté messianique. C’est elle seule qui pouvait reconnaître en Jésus le Christ, elle qui, demeurant au temple, était devenue dépositaire des intentions que Dieu lui avait manifestées lorsqu’il l’avait exaucée dans sa prière.



1982




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tj22111 : 09/12/2018