Le sens christologique du récit

   Le « Jésus » qui se rendit à Gethsémani fut le même qui, lors de la cène, avait donné à Judas le pain trempé pour le marquer du signe de la traîtrise indiqué par l'Écriture. Le même, aussi, qui l’avait exhorté à accomplir promptement la trahison. Il allait maintenant à Gethsémani dans le but précis d’attendre le retour de Judas qui le livrerait à ceux qui voulaient sa mort.

   Aussitôt arrivé, il répartit ses disciples en deux groupes, leur ordonnant de veiller dans la prière pour ne pas tomber dans la tentation. Que pouvaient-ils craindre pour eux en ces lieux déserts ? Que Satan détourne leur esprit de l’événement qui devait s’accomplir en cette heure : le Fils de l’homme livré aux mains de pécheurs. S’étant éloigné de ses disciples, Jésus resta en liaison avec Dieu, son Père, dans une prière, qui se prolongea plusieurs heures.
   Il y a ici une situation existentielle différente de celle que nous avions découverte lors du repas pascal. Alors, Jésus était Fils de Dieu, interprète des Écritures, en accord parfait avec elles, homme devenu Christ parce que le Logos des Écritures était personnalisé en lui. Ici, par contre, il est victime de la trahison, qu’il a lui-même découverte dans les Écritures, et il prie son Père d’éloigner celle-ci de lui. Sa volonté n’était pas encore accordée avec celle du Christ, en sorte que son être était dans un devenir christique. Cette tension le plongea dans une angoisse propre à l’expérience de la mort.

   Trois fois il s’approcha de ses disciples pour les exhorter à veiller par la prière, mais il les trouva endormis. Il les abandonna à leur sommeil, pour ne les réveiller qu’au moment de la venue de Judas : « Levez-vous, allons, voici, celui qui me livre approche », dit-il (Mt 26:46). Dans sa conscience de Fils de Dieu, l’événement du salut apparaissait quand le péché, par la trahison de Judas, atteignait le comble de l’aliénation.