Pourquoi les évangélistes ont-ils pris comme modèle le schéma de la naissance du héros, alors qu’ils voulaient raconter la naissance du fils de Dieu d’une mère vierge ? N’auraient-ils pas pu créer un nouveau modèle sans la conduire sur le chemin de la vierge trouvée enceinte ? N’étaient-ils pas libres de le faire, du moment où les modifications apportées au modèle de la naissance du héros sont arbitraires, ou redevable à une interprétation des Écritures et non fondées sur des faits ?

   C’est qu’ils ne devaient pas élaborer un récit mythique, dont la référence est le personnage du récit lui-même, mais un récit qui devait se référer à la naissance du Christ. Or ils avaient comme documentation des informations qui allaient à l’encontre de la naissance du Christ telle que la leur décrivait la tradition de l’Église et l’interprétation des Écritures. En d’autres termes, ils trouvaient dans ces informations que Jésus était né d’une femme prostituée ou adultère. Ils ne pouvaient pas décrire la naissance du Christ sans tenir compte de ce contexte et sans le dépasser ou le fléchir.
   À partir de ce contexte d’information, ils ont eu recours au modèle de la naissance du héros, dont la trame était précisément régie par un paradigme sur la sociologie de la femme trouvée enceinte. Mais bien que ce schéma leur offrit la structure et le genre du récit, il laissait toujours supposer que le héros, en-deçà de la révélation de l’oracle, était un enfant sans père ni mère. Ils le modifièrent donc, en s’adressant cette fois directement aux Écritures qui leur offraient la possibilité de créer des épisodes allant dans le sens de la naissance du Christ.
   Mais, ce faisant, le récit est traversé par une profonde aporie car l’information gommée du niveau du dit se laisse entrevoir au niveau du non-dit. En marge du récit, la vierge trouvée enceinte réapparaît avec toute sa souffrance de vierge rejetée comme une pécheresse prostituée ou adultère. C’est à ce niveau qu’il est possible de retrouver la naissance de Jésus, car c’est le seul qui corresponde aux documents d’information. Pour découvrir la naissance de Jésus, il faut quitter la lumière du récit pour pénétrer dans son ombre. Il ne faut pas regarder Marie, mais son ombre qui projette sur un autre écran la souffrance, l’angoisse, la violence et le péché.