ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisDe la naissance de Jésus-Christ
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Les témoignages juifs |
Le fils de Panthère |
Sommaire Avertissement Introduction La naissance chez Paul L’évangile de Marc Matthieu : naissance du roi des juifs Luc : naissance du fils de Dieu La naissance du héros Jean : le samaritain Marie Joseph Les noms de Jésus L’évangile de Thomas Témoignages des juifs - Un texte de Tertullien - Un texte de Celse - Jésus, le fils de Panthère - Le Talmud Jésus . . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . . |
Dès la fin du premier siècle, le racontar selon lequel Jésus était fils d’un soldat appelé Panthère s’était répandu dans les milieux juifs. Le document le plus important à ce sujet est celui de Celse. Bien que nous ayons déjà rapporté ce texte – dans la reconstruction de Rougier –, il est bon de le proposer de nouveau pour mieux le cerner. Je l’exposerai en le traduisant directement du Contra Celsum d’Origène : « Revenons aux paroles attribuées aux juifs, où il (Celse) écrit que la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte de l’œuvre d’un soldat nommé Panthère ». Origène estime que cette histoire est tellement infantile qu’elle est indigne d’être rapportée par un philosophe tel que Celse croit l’être. Ce qui nous étonne cependant, c’est qu’Origène s’attache à la réfuter et que ses arguments ne sont pas à propos, car au lieu de répondre à des faits par des faits, il se borne à affirmer que Jésus ne pouvait pas être né d’une façon aussi vulgaire et scandaleuse, lui qui était le Christ et que le prophète Isaïe avait annoncé d’avance comme fils d’une vierge. On constatera que cette argumentation est du même genre que celle que nous avons vue chez Marc : tandis que les juifs veulent montrer que Jésus n’est pas le Christ puisqu’il est un bâtard, il affirme qu’il n’est pas un bâtard parce qu’il est le Christ. Nous sommes obligés de croire qu’il n’avait d’autres arguments à opposer à Celse que sa propre confession de foi et qu’il était dans la totale ignorance des faits. Klausener, en suivant Nietsch et Bleck, émet une hypothèse qui va dans le sens des théologiens modernes : il affirme que le nom de Panthère aurait été obtenu par dérivation du mot « partènos » (vierge). Mais cette dérivation n’est pas justifiée philologiquement. D’abord, Celse ne dit pas que Jésus était fils de « panthèros », mais de « panthera » ; en outre, « panthèr » ne s’approche de « partènos » qu’au génitif. Pour admettre cette dérivation, il faut supposer qu’elle a été opérée par homophonie : « Panthère » serait alors un surnom. On sait que, pour former les sobriquets, le peuple ne se fonde pas sur la racine philologique des mots mais sur le jeu de leurs assonances. Dans ce cas, on peut bien comprendre qu’entendant dire que Jésus était fils d’une « partènos », les juifs se soient exclamés : oui, fils d’un « panthèros », c’est-à-dire d’une panthère, d’un homme qui a volé l’enfant comme une proie. Cette hypothèse serait plausible, à condition de supposer que la création de ce nom a été tardive, postérieure à la catéchèse sur la naissance virginale de Jésus. Mais puisque l’information sur la naissance de Jésus précède les évangiles, il faut rechercher s’il est possible d’expliquer l’origine du sobriquet à partir de cette accusation. Dans ce but, je me rapporterai au contexte familial de Jésus, tel qu’il a pu être établi par les analyses déjà accomplies. Dans Mc 6, les habitants de Nazareth connaissent Jésus comme « fils de Marie ». En nous en tenant à ce passage, nous avons supposé que Marie était la mère de Jésus. Mais la mise en parallèle de ce texte de Marc avec celui du quatrième évangile sur la présence de Marie, sœur de la mère de Jésus, auprès de la croix nous a fait soupçonner que Marie de Nazareth n’était pas la mère de Jésus mais la sœur de sa mère. Comment alors Jésus a-t-il pu passer pour fils de cette femme, alors qu’il n’en était que le neveu ? On peut supposer que Marie, la tante de Jésus, avait justifié la présence de celui-ci dans sa maison en le faisant passer pour fils d’un premier mariage. Dès lors Clopas, son mari, avait été considéré comme le beau-père de Jésus. Mais le peuple n’est pas si naïf qu’on le suppose. Quoique respectant les conventions sociales, il savait bien que Jésus était un bâtard et que celui qui passait pour son beau-père (penthèros) était en réalité son père. D’où le sobriquet de « panthèra », qui porte à penser que les gens avaient vu en l’époux de Marie un homme chasseur de femmes, un homme « filet » (pantheres). On peut aussi penser que « penthèros » n’a pas été dérivé de « panthèra » mais de « panthèr », qui signifie guépard, panthère. Cette dérivation serait fondée sur l’homophonie des deux mots ou sur l’analogie de leur référence. Cette analogie peut aussi expliquer le sens de Clopas, analysé plus haut. Naturellement, nous avons expliqué cette dérivation par l’homophonie des mots grecs, cependant rien n’empêche de penser que le jeu de mots grec correspond au jeu de mots araméen. On peut dire tout au plus que, dans la rédaction grecque, les accusateurs manifestent par l’ironie de ce jeu de mots une réalité qu’ils n’osent pas dire ouvertement. Cette réalité, c’est que Marie a commis un inceste. Que ce Panthère soit devenu un soldat relève d’une interprétation du sobriquet due au fait que des soldats étaient appelés ainsi : le recours à des sobriquets animaliers est courant dans la vie militaire, où la vertu relève de la force et de la violence. Ces remarques n’ont que la valeur hypothétique d’un soupçon. Mais si nous nous rapportons à ce que les pères de l’Église affirment au sujet de Panthère, ce soupçon prend la force d’un doute. Contrairement à ce que nous pourrions attendre, ces pères ne rejettent pas d’emblée ces informations au sujet de Panthère mais les assument comme un document d’information, au point d’insérer Panthère dans la généalogie de Jésus. Pour Épiphane, Panthère serait un surnom donné à Jacob, qui serait à la fois père de Joseph, époux de Marie, et père de Clopas, époux de la sœur de celle-ci. Pour Andrée de Crète, Jacob aurait eu pour fils Melchi et Panthère. Or, de même que Joseph viendrait de la génération de Melchi, Marie descendrait de celle de Panthère, car son père était Joachim, fils de Bar-Panthère, lui-même fils de Panthère. Pour Jean Damaschène, les deux générations s’inscrivent dans la même succession : Panthère engendre Bar-Panthère, celui-ci Joachim, père de Marie ; à son tour Melchi, fils de Lévi, se serait uni avec la veuve de Nathan, de la génération de David, engendrant Jacob et Héli. Celui-ci étant mort, son frère Jacob s’unit par lévirat avec sa veuve et engendre Joseph, époux de Marie. Ces généalogies montrent que leurs auteurs ont le souci d’associer la génération de Marie, de la race de Lévi, avec celle de Joseph, de la famille de David, au moyen du statut du lévirat. La raison de cette préoccupation semble être que, Jésus étant né de Marie mais pas de Joseph, ils cherchent à trouver le fondement de son appartenance à la génération davidique à partir aussi de l’ascendance de sa mère. Ce qui étonne dans leur artifice combinatoire, c’est qu’ils ont recours au statut du lévirat et qu’ils introduisent la personne de « Panthèra » et aussi d’un « Bar-Panthèra », c’est-à-dire d’un « fils de Panthèra ». Il faut noter que, en dépit de sa légalité, le lévirat consiste dans une union incestueuse. Ces deux faits étonnent, parce qu’ils prouvent que les pères ne répondent pas aux accusations formulées par les juifs contre Marie et Jésus en niant les faits, mais en les reculant dans la généalogie. Ainsi, les juifs accusaient la mère de Jésus d’avoir commis un inceste avec son beau-frère, les pères de l’Église ne font que justifier cet inceste par le lévirat et l’attribuer aux ancêtres immédiats de Marie. Les juifs accusaient le père de Jésus d’être un « panthèra », les pères de l’Église attribuent le même nom au père de Joseph. Les juifs appelaient Jésus « fils de Panthèra », nous trouvons un « fils de Panthèra » (un Bar-Panthèra) parmi les grands-pères de Marie et de Joseph. L’attitude des pères de l’Église prouve au moins qu’ils n’avaient rien à opposer aux juifs, et qu’ils les prenaient suffisamment au sérieux pour rechercher dans leurs accusations des informations nécessaires à leur compréhension de la généalogie de Jésus. Les deux études sur Clopas et sur Panthère nous amènent à la même conclusion, quoiqu’exprimée de façon différente : selon la première le père naturel de Jésus serait son beau-père, que l’auteur de l’évangile appelle « Clopas » pour indiquer justement qu’il était le père furtif de Jésus ; la seconde nous amène à soupçonner que le père naturel de Jésus était son « beau-père », le « penthèros » changé en « panthèra ». Les deux informations reviennent au même : Jésus est un fils bâtard, engendré par l’union de sa mère avec un de ses parents. Cette conclusion est conforme à la première recherche que nous avions faite sur la généalogie de Matthieu : là aussi, Jésus apparaît comme né d’une union incestueuse, assimilée à celle de Tamar avec Juda, son beau-père. |
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t813000 : 24/12/2017