ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Les récits de la naissance de Jésus





Lecture du récit de Luc :

La visite à Élisabeth


Sommaire

GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS

LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU

LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
- Une visite théologique
- Schéma versus données
- Articulation de la visite
- Salutation de Marie
- Louange à Marie
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles

CONCLUSION



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

L’articulation de la visite



   L’étude de l’articulation de cette scène dans le cadre du récit confirme l’amorce de son interprétation. Trois épisodes se suivent : l’annonce à Zacharie, l’annonce à Marie et la visite. Or, quoique celle-ci, comme nous venons de le dire, ne soit pas directement liée à l’annonce à Marie, elle est mise en relation avec la fin du premier épisode. La décision de Marie de se rendre chez Élisabeth trouve celle-ci dans une situation qui la prédispose à la recevoir. Avant de relater l’annonce faite à Marie, Luc avait fini ainsi le récit de l’annonce de la naissance de Jean : « Quelques temps après (l’annonce faite à Zacharie) Élisabeth, sa femme, devint enceinte. Elle se cacha pendant cinq mois, disant : C’est la grâce que le Seigneur m’a faite, quand il a jeté les yeux sur moi, pour ôter mon opprobre parmi les hommes » (Lc 1:24-25).
   Cherchons avant tout à comprendre le sens de l’action du personnage. Élisabeth « se cache », c’est-à-dire qu’elle veut garder sa grossesse secrète tant qu’elle pourra rester cachée, et on peut bien penser que les « cinq mois » correspondent au temps pendant lequel une femme enceinte peut cacher son état aux autres. Il apparaîtrait aussi qu’Élisabeth veut garder le silence pour respecter l’action secrète de Dieu qui lui a ôté la honte d’être stérile.
   Ce contexte nous amène à penser qu’aussitôt fini le cinquième mois, Élisabeth rompt son silence et annonce aux autres l’heureux événement. Or c’est précisément au début du sixième mois que Marie se rend chez elle. Ainsi, la « hâte » du voyage de Marie doit être comprise dans le cadre de l’accomplis­sement du temps de retraite d’Élisabeth. Marie se rend-elle chez sa parente dans le but de marquer, par sa présence, la manifestation de la miséricorde de Dieu ? Y va-t-elle pour être témoin de la libération de la honte de la stérilité ? On serait porté à le croire.
   Mais il se trouve que le rôle des deux femmes est renversé, car ce n’est pas Marie qui se porte garante de la libération d’Élisabeth, mais celle-ci qui devient témoin de l’œuvre de Dieu qui s’accompli en Marie. Élisabeth n’est qu’une image prophétique rapprochée de la personnalité de Marie. Il est alors possible de comprendre sa retraite des cinq premiers mois de gestation ainsi que la libération de sa honte, dans la mesure où elles sont figures prophétiques d’une fuite et d’une honte qui sont celles de Marie et dont Élisabeth est chargée de révéler le sens.

   Il convient aussi de passer du personnage théologique à la personne concrète de Marie, telle que nous l’avons déjà découverte chez Matthieu. Marie avait été « trouvée enceinte » (Mt 1:18), or le fait qu’elle fut trouvée enceinte nous donne à penser que sa grossesse devint notoire à la fin du cinquième mois, lorsqu’elle ne put plus être cachée.
   À ce niveau du texte, nous trouvons que Luc a été bouleversé par la même hantise que Matthieu. Seulement, au lieu de céder à la tentation de disculper Marie par une méthode rabbinique et moralisante, il recourt à la transposition symbolique. Les cinq mois où Marie avait caché son opprobre sont transposés sur Élisabeth et donc placés dans le contexte propre à la situation de la femme stérile. Élisabeth cache sa grossesse pendant cinq mois en tant que contre-figure de Marie, afin de montrer que celle-ci s’est tue au sujet de sa grossesse pour glorifier le regard que Dieu avait jeté sur elle. La honte dont les juifs l’accusent est transférée sur la honte qu’Élisabeth subit à cause de sa stérilité.
   Ainsi ne reste-t-il à Marie que le thème de la fuite, qui prend le sens d’un départ. Elle se lève, en hâte, pour se rendre chez celle qui porte, en le transmuant, le masque de sa prostitution présumée. Et voilà qu’au lieu de la dénoncer comme pécheresse, Élisabeth témoigne de son innocence et de la sainteté de sa grossesse. Marie n’est pas découverte enceinte par l’apparition des signes de sa grossesse, mais par le témoignage prophétique donné par Jean lui-même – son prophète – dans le sein de sa mère. La stérilité dévoile le sens profond d’une conception virginale, en ce qu’elle parvient à assumer et différer le péché d’une naissance naturelle.
   Lorsqu’Élisabeth affirme que le Seigneur lui a ôté son opprobre elle se réfère, à ce niveau du texte, non pas à elle-même mais à Marie, dont elle est figure. Un mot traduit de façon forte cette référence, lorsqu’elle affirme que l’opprobre dont Dieu la libère était « parmi les hommes » (Lc 1:25). Or la femme stérile éprouvait de la honte moins face aux hommes qu’aux femmes qui lui étaient rivales. Luc a donc écrit « hommes » au lieu de « femmes » parce qu’il se référait à la honte de la stérilité en tant qu’image de l’ignominie éprouvée par une vierge enceinte, car la vierge enceinte était le rejet, l’opprobre de tous, aussi bien hommes que femmes.



1982




Retour à l'accueil Tensions entre schéma théologique et données référentielles Haut de page La salutation de Marie à Elisabeth      écrire au webmestre

tj22023 : 02/12/2018