Sommaire
Prologue
La méthode
- Introduction
- Existence d’une référence
- Interprétation et référence
- Le champ référentiel de Marc
- La méthode
- Résumé
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Il est certain que l’anti-texte et le texte ont pour objet direct une théophanie, et que le baptême, qui en est le support référentiel, y apparaît comme un point dans un espace vide. Tout en prétendant à être considéré comme un fait réel, il se trouve cependant coupé de l’univers des faits puisque tout ce qui devrait l’y rattacher fait précisément partie de la théophanie. Mais qu’est-ce que cette théophanie, et qu’est-ce que ce baptême ?
le texte et l’anti-texte ne présentent pas la théophanie à la façon d’un événement surnaturel susceptible d’être vu par tous – comme le fait Luc – mais comme une vision personnelle, que le texte attribue à Jésus et l’anti-texte à Jean.
On pourrait dès lors penser que les deux rédacteurs l’ont conçue comme un phénomène psychique de caractère religieux, or il n’en est rien. Étant interchangeable et susceptible d’être chargée de sens contraire, elle a dû être comprise moins comme un fait d’expérience que comme un modèle littéraire permettant d’exprimer ce que les deux rédacteurs pensaient de Jésus lors du baptême. Les récits ne sont pas narration d’une théophanie, mais interprétation d’un fait par le biais du modèle théophanique. La voie vers la référence est alors ouverte, si du moins on parvient à passer de l’expression à l’interprétation, puis de l’interprétation aux faits.
Quant au baptême, on constate qu’il constitue le support référentiel de la vision dans les deux textes, mais d’une façon différente : dans Marc, Jésus aurait vu l’Esprit descendre vers lui au moment où il sortait de l’eau, une fois le baptême reçu, dans l’anti-texte, Jean aurait vu le Saint venant du ciel, au moment où Jésus descendait dans l’eau.
Une interrogation surgit ici, évoquant le doute déjà manifesté dans les premières analyses du texte : le baptême a-t-il le même sens dans les deux récits ? Dans Marc l’emploi du verbe au passif « il fut baptisé » ( Mc 1:9) montre sans aucun doute que le baptême est celui que Jésus avait reçu de Jean. En est-il de même pour le texte d’accusation ?
Rappelons qu’aussitôt descendu dans l’eau – c’est à dire dans le fleuve ou au bord du fleuve – Jésus en fut expulsé par l’ange. Or s’il s’agit d’un baptême à recevoir, on devrait en conclure que Jésus en aurait été empêché parce qu’il en était indigne, la cause de cette indignité semblant être sa condition d’homme bâtard. Mais cette exclusion ne peut pas trouver de justification cohérente et objective dans la coutume juive : le baptême de Jean n’était pas destiné à des êtres privilégiés, comme s’il avait conféré une dignité ou un charisme, mais à tous, sans exception, pour leur assurer le pardon des péchés par la repentance. On ne voit pas pourquoi un bâtard en aurait été exclu : n’était-il pas pécheur comme les autres ? Ne devait-il pas, comme les autres, demander à Dieu le pardon de ses péchés ? En se faisant baptiser, il n’exigeait pas d’être purifié de sa tache originelle, mais de ses péchés volontaires et personnels, pour la libération desquels le baptême avait été annoncé. Il demeure donc que l’attitude de l’ange – ou des juifs – à l’égard de Jésus n’est pas justifiée.
Son expulsion du lieu apparaît par contre légitime et cohérente s’il ne s’agit pas de la réception mais de l’administration du baptême : Jésus serait alors descendu dans l’eau pour baptiser, de la même façon que Jean. Dans ce cas il aurait commis, aux yeux des juifs, un acte honteux et scandaleux puisque, impur par naissance, il aurait osé purifier les autres dont la naissance était pure. Il s’arrogeait ainsi l’exercice d’une fonction qui exigeait, de la part de celui qui l’accomplissait, une totale légitimité.
Quoique cette interprétation soit encore à l’état d’hypothèse, elle permet de franchir les limites que nous posait la première objection : le baptême n’est pas un point mort détaché de tout contexte, mais un acte personnel, qui suppose une détermination de volonté et a aussi un impact dans les milieux où il s’accomplit. Dans la mesure où la théophanie n’est qu’un modèle littéraire destiné à exprimer un fait elle devient susceptible de montrer, par son intrigue, la trame du déroulement de cet acte. Ainsi le champ référentiel des deux récits se laisse-t-il entrevoir d’une façon confuse : Jésus ayant tenté d’administrer le baptême, les juifs le condamnent à cause de son impureté native et le chassent dans le désert comme un homme maudit.
Cette trame est cependant encore indéterminée ; pour la cerner dans ses propres déterminations il faut résoudre les contradictions des deux textes.
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