ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Méthode d’approche référentielle :

interprétation et référence



Sommaire
Prologue

La méthode
- Introduction
- Existence d’une référence
- Interprétation et référence
- Le champ référentiel de
   Marc
- La méthode
- Résumé

Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   Nous aborderons maintenant le problème de la saisie de ce champ référentiel : pouvons-nous en effet l’atteindre si les récits à partir desquels il est connaissable sont antithétiques ? Au cours des analyses précédentes nous avons pris conscience du fait que les récits ne sont pas essentiellement des documents d’information, mais plutôt des textes d’accusation et de défense. Il devient alors nécessaire de cerner la nature de cette opposition.

   Je l’ai déjà relevé elle est particulière puisque les récits, tout en s’opposant au niveau de l’interprétation, s’accordent en ce qu’ils se rapportent aux mêmes faits. Et s’ils expriment ceux-ci d’une façon différente et même opposée, ils n’en faussent pas pour autant leur phénoménalité.
   Pour que les témoignages d’accusation et de défense soient valables, il faut qu’ils soient « véridiques » : dans le cas contraire les témoins deviendraient eux-mêmes passibles de poursuites judiciaires. Le témoin est tenu de dire ce qu’il a vu ou entendu en se dépouillant de tout préjugé qui pourrait altérer le fait perçu. Naturellement il voit de ses propres yeux et il exprime sur ce qu’il a perçu des jugements selon ses propres catégories de pensée et ses propres systèmes de valeur, mais ces jugements de valeur ne peuvent pas altérer la perception au point de fausser le fait. Les témoins doivent, en principe, laisser filtrer le fait par-delà l’ambiguïté et le déguisement du discours.

   Dans cette recherche je me tiendrai à ce postulat, en présumant que les deux documents ne sont pas des faux témoignages. J’estime cependant que cette présomption n’est pas tout à fait gratuite, car les documents sont des témoignages plus collectifs que personnels, s’inscrivant dans le cadre d’une conscience, voire même d’une expérience religieuse, qui peut sans doute se tromper mais non mentir. Aussi est-il légitime de penser que l’accusation portée contre Jésus ne venait pas directement des hommes qui avaient constaté les faits, mais de ceux qui, à partir de leurs témoignages, avaient exprimé un jugement en qualité de procureurs, confor­mément à la Loi ou aux valeurs coutumières. Je me propose donc de rechercher une méthode de résolu­tion de l’opposition en présupposant l’authenticité des témoignages.

   Si l’opposition ne se situe qu’au niveau de l’interprétation, il va de soi que c’est à son sujet qu’on doit d’abord s’interroger. D’où vient l’interprétation et quels sont ses fondements ? Je résumerai ce que j’ai exposé dans la première partie.
   En présupposant les faits dans leur phénoménalité brute, telle qu’elle apparaît par une perception commune, il me semble que l’interprétation relève de la mise en relation de ces faits avec des systèmes de valeur qui diffèrent selon les groupes sociaux. Il s’agit, par exemple, des systèmes éthiques, juridiques, religieux, de convenances, etc. Ces systèmes, à mon avis, demeurent toujours étrangers aux faits, car ils concernent l’homme et non les choses, se fondent sur les exigences de la conscience collective et culturelle, bref ont pour fondement le sujet (l’homme) et non la nature.
   Ce n’est pas ici le lieu de chercher l’origine de ces systèmes, puisque je ne vise qu’à en cerner la fonction. Venant de la conscience humaine, ils ne servent qu’à conférer une valeur d’existence aux actes, aux perceptions et aux choses qui nous entourent. Sans eux les faits restent des données neutres et sans valeur humaine, ils reçoivent une valeur dans la mesure où ils s’ordonnent sur la base des rapports constituant le système. Un homicide, par exemple, peut être considéré comme meurtre, ou sacrifice, ou geste héroïque, selon qu’il s’inscrit dans le cadre d’un système juridique, ou religieux, ou guerrier. Mais pour qu’une donnée phénoménale soit inscrite dans un système, on doit présupposer des codes dont les signes coïncident avec des traits du phénomène lui-même. On peut assimiler la relation entre faits, code et système au langage : le phénomène correspond à l’univers de l’expérience, le code à l’articulation des signes, le système à la langue.

   Ces remarques générales permettent d’énoncer une formulation de principe quant à la recherche d’un fait à partir d’une interprétation de valeur : interpréter un fait, c’est l’inscrire dans le cadre d’un système de valeurs. Mais dans la mesure où cette opération est un langage, on peut aussi affirmer qu’interpréter un fait revient à l’écrire, c’est-à-dire à l’exprimer dans un langage de valeurs. L’inter­prétation est comme un récit exprimant la chose : de même qu’on lit un récit pour savoir ce qu’il dit, mais aussi pour découvrir la chose à laquelle il se réfère, de même on peut lire une interprétation jusqu’à saisir la chose dont elle est expression de valeur.

   Cette analogie doit cependant être approfondie, car un problème se pose quant à la possibilité de cerner le référent à partir des interprétations qui en expriment la valeur. Si, comme je l’ai dit, la détermination de l’interprétation relève de systèmes de valeurs qui sont étrangers aux phénomènes et qui découlent de la conscience culturelle d’un peuple, doit-on conclure aussi qu’ils sont subjectifs et qu’ils n’ont aucun rapport avec la réalité ? Sans doute pas car, quoiqu’ils relèvent de la conscience, leur fonctionnement n’est pas arbitraire. Étant des systèmes, ils ne peuvent devenir opératoires que par la médiation de codes qui ne sont que des formalisations des conditions existant au niveau des phénomènes eux-mêmes : il y a une correspondance entre les codes et les phénomènes.
   Pour reprendre l’exemple précédent, l’homicide peut revêtir la valeur de meurtre, de sacrifice ou d’acte héroïque selon les systèmes donnés, pourvu qu’il présente les conditions requises par le système pour être considéré comme tel. Dans le cas contraire, l’interprétation serait si arbitraire que tout phénomène pourrait assumer une valeur quelconque selon le bon plaisir de chacun.

   De cette précision il résulte que, si on analyse une interprétation jusqu’à la réduire à son système de valeurs et à son code, on est aussi en mesure de détecter les signes qui ont permis au phénomène d’être inscrit dans le système. En détectant les signes, on sera aussi en mesure de cerner le phénomène lui-même. Une distinction doit ce­pendant être posée quand on recherche les fondements d’interprétations opposées concernant le même fait.

   Des interprétations fondées sur le même système de valeurs peuvent différer et s’opposer à cause d’une mauvaise lecture des signes. Il arrive que le phénomène offre des signes si ambigus qu’ils peuvent être mis en relation avec plusieurs codes d’interprétation du même système. C’est le cas de l’accusation et de la défense dans le procès judiciaire. Dans le processus de déchiffrage, le juge doit alors confronter les témoins pour parvenir à détecter les causes de l’ambiguïté des signes.
   Il existe aussi des interprétations qui se fondent sur des systèmes de valeurs différents, et par conséquent aussi sur des codes de lecture différents. C’est le cas des thèses opposées dans les conflits culturels. Les parties en conflit connaissent les systèmes et les codes, mais ceux-ci étant différents, elles emploient aussi des signes différents ou polyvalents. Il n’est pas nécessaire dans ce cas de confronter les parties opposées mais il suffit, par un processus de réduction, de remonter aux systèmes respectifs.
   Dans les deux cas, l’aboutissement sera le même car, qu’on arrive à détecter la présence initiale d’une erreur ou d’une équivoque, ou qu’on parvienne à trouver des signes différents ou polyvalents, on sera parvenu à un point d’où il sera possible de pénétrer dans la zone de référence.



1984




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u0120000 : 18/01/2018