Sur les bords du Jourdain

   J’ai affirmé précédemment que les juifs, dans le jugement sur Jésus rapporté par l’anti-texte, l’avaient accusé d’être un « fils de prostitution ».
   Cette hypothèse vient de l’exigence méthodologique de ma démarche, selon laquelle l’anti-texte est déterminé par opposition au texte. Puisque, dans celui-ci, une voix venant du ciel proclame Jésus « fils de Dieu », on doit supposer que, dans l’anti-texte, la même voix l’accuse du contraire. J’ai indiqué aussi que la même démarche permet de formuler une hypothèse identique à partir de la généalogie de Jésus que présentent les évangiles de Matthieu et de Luc. En effet, si l’on suppose que ces généalogies sont apologétiques (qu’elles visent à établir que Jésus est fils de Dieu, puisqu’il est héritier légitime de la génération d’Abraham), on peut en induire que ses adversaires juifs le considéraient comme un enfant bâtard, hors de la génération des fils d’Abraham.

   Cette hypothèse offre une piste pour rechercher les origines de Jésus, elle est donc trop importante pour ne pas devoir être vérifiée. Au premier niveau du texte de Marc, toute allusion à ces origines fait défaut : l’évangile fait apparaître Jésus sur les bords du Jourdain, sans aucune mention de sa naissance, de son enfance ni de son milieu. Or, si l’hypothèse qu’il était bâtard est correcte, elle nous permet de le situer psychologiquement et socialement : au temps de Jésus la légitimité ou l’illégitimité de la naissance étaient des facteurs déterminants de la personnalité d’un individu.

   Ma recherche m’amène à penser que, si Jésus a été réellement bâtard, cette information a dû être refoulée. Déjà, au temps de Paul, l’Église croyait que le Christ, selon les Écritures, devait être de la génération de David(1). Il est évident qu’en le sachant bâtard, elle a dû avoir du mal à le conformer à ce thème messianique. Ce fait, tout en rendant la recherche complexe et difficile, a l’avantage de nous aider à en limiter le champ : toute information éventuelle sur l’origine illégitime de Jésus se situera moins dans le dit que dans le non-dit du discours, en restant cependant liée par des artifices rhétoriques à des affirmations sur sa légitimité.
   J’ai indiqué dans le prologue que, dans les évangiles, le mécanisme de refoulement est un codage, où les mots sont pris comme signes d’un langage allégorique, par voie de similitude et d’analogie. Il faut donc s’attendre à ce que le sens allégorique ait pour trame un schéma tiré de la phénoménologie du bâtard. Je me propose donc de repérer les propositions sur l’origine de Jésus et de les examiner dans ce sens. Dans la mesure où l’analyse aboutira à découvrir sous ces énoncés que Jésus est bâtard, je m’efforcerai de rechercher dans la littérature extra-testamentaire des témoignages correspondant à ce fait.

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(1) Rm 1:3 ; 2 Tm 2:8 ; Mc 12:35 ; Mt 1:1 ; 12:23 ; Lc 2:4 ; 20:41 ; Jn 7:42 ; Ap 22:16