ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le bâtard :

résumé



Sommaire
Prologue

La méthode

Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé

De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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   J’ai avancé l’hypothèse que Jésus était un bâtard. En entreprenant la vérification de cette hypothèse, je suis parti du principe que, si elle est correcte, les évangélistes ont dû l’assumer comme un signe–énigme de la naissance de Jésus comme fils de Dieu, naissance qui est à la base de leur récit. Il fallait donc rechercher les textes concernant cette naissance et les soumettre à une analyse référentielle pour découvrir la relation entre ce signe, qui a une fonction de signifiant, et la naissance du Christ qui, elle, a une fonction de signifié. Autrement dit, il fallait aller au-delà de la signification des récits pour retrouver la « lettre », les mots, les syntagmes, les énoncés mêmes qui constituent le signe. À la suite de ces analyses, j’ai dû constater que la naissance illégitime de Jésus est l’information refoulée de toutes les propositions examinées.



   En Mc 6:1-6, on trouve que les nazaréens n’appellent pas Jésus en relation avec son père, mais avec sa mère : il est le « fils de Marie ». Puisque seuls les fils illégitimes étaient qualifiés ainsi, cette appellation nous oblige à affirmer que Jésus était un bâtard, d’autant plus que les nazaréens s’étaient scandalisés de voir qu’il s’était présenté comme un rabbi et un guérisseur.

   Un texte de l’évangile de Thomas (105-322) relate un logion de Jésus dans lequel il est affirmé que celui qui a connu son père et sa mère l’appellera « fils d’une prostituée ». En mettant ce logion en relation avec Jn 6:42, j’ai conclu qu’il doit être interprété dans le sens que ceux qui ne connaissent Jésus que par sa naissance ne peuvent le reconnaître que comme fils d’une prostituée. Ainsi, tandis que selon l’esprit Jésus est fils de Dieu, selon la chair il est fils d’une prostituée. Cette supposition est confirmée par une accusation juive rapportée par Tertullien, selon laquelle la mère de Jésus était une « courtisane », ainsi que par des accusations analogues contenues dans le Talmud.

   Ce soupçon est sous-jacent aux récits de Matthieu et de Luc sur la naissance de Jésus. Il y est en effet affirmé que Marie « fut trouvée enceinte » (Mt 1:18) avant de vivre avec son époux, et que celui-ci avait pris la décision de la répudier. L’analyse de cette décision nous persuade que Marie avait eu des relations charnelles avec un autre homme, dans le but de se faire justice par elle-même contre le comportement injurieux de son époux. Le même évangéliste insère dans la généalogie de Jésus les noms de quatre aïeules de Joseph – Rahab, Tamar, Ruth et Beersheba – dont le mariage était entaché d’impureté. Il est logique de penser que l’écrivain a voulu dissoudre le péché de Marie dans celui de ces ancêtres, c’est pourquoi celles-ci s’offrent comme l’image de la mère de Jésus. Nous trouvons cette image dans un texte fondamental de Celse, pour qui la mère de Jésus était une femme d’humble origine, convaincue d’adultère et chassée par son mari.

   En jetant un regard sur les récits de Matthieu et de Luc, on constate qu’ils racontent la naissance de Jésus comme fils de Dieu en décalquant la trame de la naissance du héros. Puisque celui-ci naît comme fils de Dieu tout en apparaissant aux yeux de tous comme un enfant bâtard, il s’ensuit que les récits évangéliques ont comme trame la naissance d’un bâtard. La femme trouvée enceinte, chassée de la maison et qui accouche clandestinement suit, comme une ombre, la marche de la vierge-mère. Jésus, à son tour, est décrit à l’image du héros bâtard : né clandestinement, il est exposé, trouvé par des bergers et accueilli par piété.

   Que Jésus soit un bâtard ressort aussi de son nom et des mots qui manifestent sa condition d’existence : on constate qu’il est rejeté, exposé, inconnu, trouvé et accueilli.

   Dans un texte du quatrième évangile, les juifs accusent Jésus d’être un samaritain. De plus, dans le même évangile, on insinue que la Samarie était sa patrie. Son origine samaritaine est développée dans un récit allégorique de cet évangile, sur le thème de sa rencontre avec une samaritaine, à Sychar, près du puits de Jacob. Jésus y est présenté à la fois comme juif et comme samaritain, à la recherche de sa mère et de sa légitimité comme fils d’Abraham. Mais au lieu de recevoir cette légitimité de sa mère, c’est lui qui la lui donne, en se révélant comme le Christ qui reconduit Israël à Dieu, son époux, par-delà la division entre Jérusalem et Samarie, royaume de Juda et royaume du nord. Ici aussi la condition d’homme bâtard, samaritain pour les juifs et juif pour les samaritains, constitue le support de sa personnalité christique.

   La lettre He 7:1-3 et le chapitre Jn 8 impliquent que, selon la chair et pour les juifs, Jésus était un enfant sans père.
   Cette supposition n’est pas contredite par les affirmations néotestamentaires selon lesquelles Jésus est « fils de David », puisque cette proposition ne relève que des Écritures et de la foi messianique.
   Elle n’est pas non plus remise en cause par l’affirmation selon laquelle Jésus serait « fils de Joseph », puisque celui-ci est moins une personne qu’un personnage, créé dans le but d’inscrire Jésus dans la généalogie davidique et d’ôter à la conception par Marie toute tache d’illégitimité.

   Au fur et à mesure que l’on explore le champ sémantique de la naissance de Jésus, la connaissance de sa mère devient de plus en plus problématique. L’interrogation que Jésus lui-même avait posée surgit de nouveau : qui est sa mère ?
   On trouve dans les textes deux mères de Jésus : Marie, sa mère comme fils de Dieu, et la femme sans nom, sa mère naturelle. La première naît avec les récits eux-mêmes et avec la catéchèse de foi sur la naissance virginale de Jésus ; l’autre, refoulée, n’apparaît qu’au début et à la fin du quatrième évangile ; mais elle n’apparaît que pour être reniée comme mère du fils de Dieu. Elle est d’autant plus absente des récits qu’une analyse des mentions des femmes présentes auprès de la croix nous porte à penser que Marie – que, selon Mc 6, les nazaréens considéraient comme la mère de Jésus – était en réalité la sœur de sa mère. Ainsi, à Nazareth, Jésus avait habité dans la famille de sa tante, parmi ses cousins germains.

   Plus obscure encore est la personne de son père. On trouve dans le quatrième évangile que le mari de la sœur de la mère de Jésus s’appelait Klopas. En considérant que ce nom est allégorique, il doit désigner un père furtif, donc le père naturel de Jésus. Ce bref texte laisserait entrevoir que Jésus est né d’une relation incestueuse entre Marie et son beau-frère. La mère de Jésus serait ainsi proche de cette Tamar que Matthieu a comptée parmi les aïeules de Joseph.
   Selon un racontar juif rapporté de façon explicite par Celse, Jésus serait fils d’un soldat appelé Panthère. En prenant ce nom comme un sobriquet, on peut l’expliquer par le jeu d’une transposition phonétique de « penthèros » (beau-frère ou beau-père) en « panthèra » (filet) ou « panther » (guépard). Le beau-père de Jésus – le mari de sa tante – était vraiment un filet, pour avoir gardé dans la même maison des fils légitimes et un enfant bâtard, ou une panthère pour avoir profité de sa belle-sœur.



   L’interprétation de ces indices nous a permis d’explorer le champ référentiel de la naissance de Jésus, même si elle n’a pas toujours suffi à déterminer concrètement les faits et les personnes. Une chose cependant est certaine, la naissance bâtarde de Jésus, fait sans lequel les passages que nous avons examinés resteraient inintelligibles.



1984




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u0213000 : 02/06/2018