Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
. La lettre aux Hébreux
. Un texte de Jean
. Les deux pères
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Le texte de Jean
Le texte de Jean ( Jn 8) est une allégorie, qui a pour arrière-plan la controverse entre chrétiens et juifs sur l’origine de Jésus. Son caractère allégorique nous permet de saisir deux niveaux de discours : le sens littéral et le sens christologique. La dialectique de la controverse se fonde précisément sur l’opposition de ces deux niveaux, déjà présente dans la question que les juifs posent à Jésus : « Où est ton père ? » (Jn 8:19).
Jésus étant présupposé fils de Dieu par le récit, il en résulte qu’il est à la fois sans père et engendré par un père, sans père au niveau de la chair mais avec un père selon l’esprit.
Le point focal de la controverse est constitué par les versets 13 à 19, qui aboutissent à l’interrogation au sujet du père. Comme les héros des récits mythiques, le fils de Dieu ne peut donner sur sa propre origine d’autre témoignage que celui de sa mère ou de son père légal. Celui de sa mère naturelle n’était évidemment pas recevable, celui de son père l’était s’il était confirmé par serment. Selon Matthieu, le père présumé de Jésus – Joseph – aurait donné implicitement ce témoignage en se refusant à renvoyer Marie. Mais, par leur question, les juifs montrent qu’ils n’admettent pas l’existence de ce témoignage et, par conséquent, que Jésus n’a ni père naturel ni père légal : « Où est ton père ? ».
Il s’ensuit que Jésus (les chrétiens) donne témoignage de lui-même ; il le reconnaît d’ailleurs, mais il affirme en même temps que son témoignage est vrai car appuyé sur celui de son père.
Au niveau littéral, l’équivoque est frappante et frôle la contradiction. Celle-ci ne peut être évitée que si l’on suppose que Dieu, comme dans les récits mythiques, a révélé par un signe l’origine divine de Jésus. Jésus, dans sa propre existence terrestre, serait ce signe, mais les juifs, ne voyant en lui qu’un homme, ne le reconnaissent pas, d’où l’articulation de la réponse de Jésus : vous ne me connaissez pas et, ne me connaissant pas, vous ne connaissez pas non plus mon père et, ne connaissant pas mon père, vous ne savez pas d’où je viens.
C’est à ce point que la question, sous-jacente à l’ensemble du discours, émerge dans toute son ambiguïté : « où est ton père ? ». Au niveau référentiel, la confession de foi de l’Église « Jésus est Christ » est confrontée à l’exigence critique de la conscience historique juive. Les juifs approchent Jésus « selon la chair », autrement dit par l’expérience des faits. À ce niveau, Jésus est un bâtard car, pour admettre qu’il est fils de Dieu, il faut l’approcher « selon l’esprit », mais cela revient à nier qu’il est bâtard, puisqu’on le croit fils de Dieu. Cette argumentation est contradictoire pour les juifs, car elle implique une pétition de principe.
Le discours qui suit dans le texte de Jean suppose cette situation contradictoire de la controverse, c’est pourquoi la réponse de Jésus ne vise pas à convaincre les juifs de sa filiation divine, mais à leur renvoyer l’accusation d’illégitimité.
Soulignons les moments principaux de cette contre-attaque. D’abord, Jésus accuse les juifs d’être des esclaves, ce à quoi les juifs répondent qu’ils sont des hommes libres, puisque fils d’Abraham. Jésus insiste en disant que, s’ils l’étaient, ils accompliraient les œuvres de leur père ; ne les accomplissant pas, ils ne sont pas fils d’Abraham. Les juifs répondent alors qu’ils ne sont pas des fils de prostitution, autrement dit des bâtards, mais Jésus maintient son accusation et la précise encore : non vous n’êtes pas fils d’Abraham mais fils du diable et du mensonge, c’est-à-dire bâtards. C’est à ce moment que l’accusation des juifs, implicite dans la question « où est ton père ? » est explicitée : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un samaritain (un bâtard) et que tu es un démon ? » (Jn 8:48).
Mais désormais, dans le processus dialectique de la controverse, ce sont les juifs qui sont des bâtards et non Jésus : l’accusé se déclare innocent du moment qu’il a pu faire retomber l’accusation sur ses accusateurs. Lavé de l’accusation, Jésus peut alors se revendiquer comme fils d’Abraham, puisqu’il est le fils de Dieu : « Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu’il verrait mon jour : il l’a vu et il s’est réjoui » (Jn 8:56). Jésus est le fils de la promesse, celui qu’Abraham a attendu dans le futur messianique. La contradiction entre les deux adversaires arrive ici au point de rupture. Les juifs contestent : « Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ? » (Jn 8:57) et Jésus de répondre : « Avant qu’Abraham fut, je suis » (Jn 8:58). L’auto-confession de Jésus devient ici son être même : Jésus n’existe que dans et par sa confession de foi, l’instance de parole devient événement d’existence.
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