ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le bâtard :

le fils de David



Sommaire
Prologue

La méthode

Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé

De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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   Il ne suffisait pas à l’Église d’interpréter la naissance de Jésus selon le modèle de celle du héros, il lui fallait aussi résoudre tous les problèmes que posait son messianisme. Parmi ces problèmes, la croyance selon laquelle le Christ devait être fils de David était sans aucun doute un des plus importants(1). Cette conviction avait ses racines dans la Bible et, par conséquent, dans les profondeurs de la conscience historique du peuple. En effet, le Christ devait être roi et accomplir les promesses faites par Dieu à Abraham et renouvelées à David. Mais comment insérer la naissance bâtarde de Jésus dans de la cadre d’une dynastie royale ?

   Il convient de noter qu’on trouve un problème analogue dans le mythe du héros qui, né d’une vierge-mère, doit cependant s’inscrire dans le cadre d’une famille royale. En général le problème est résolu par un artifice, la vierge-mère devenant l’épouse d’un roi ou l’enfant étant adopté par un couple royal(2) : dans les Droits des peuples antiques, l’adoption avait en effet la même valeur que la relation parentale naturelle.

   Quant à l’Église, elle avait résolu le problème, dès les temps apostoliques, par l’interprétation du psaume 2, une des références les plus importantes de la tradition messianique. Le psalmiste parle de lui-même comme d’un roi rejeté par les nations, mais à qui Dieu assure le pouvoir par ces paroles : « Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré » (Ps 2:2).
   Ce passage était susceptible d’une interprétation messianique dans la mesure où David, le personnage supposé du psaume, était considéré à la fois comme personnage historique et comme figure prophétique du Christ. Dans le psaume, Dieu se serait adressé à lui en le proclamant fils, non en tant que roi historique mais en tant que figure du roi messianique. Le Christ se trouvait ainsi inscrit dans la filiation davidique.
   Si on applique ce psaume à Jésus, il s’ensuit qu’il est à la fois fils de Dieu et fils de David, moins par naissance naturelle que par réception de sa dignité messianique royale. Telle me paraît être l’interprétation que donne au psaume l’Église apostolique, par exemple dans les Actes (Ac 2:36 et 13:33). Dans cette approche, la naissance illégitime de Jésus ne fait donc pas problème. Dieu aurait élu Jésus, et comme son fils et comme roi davidique, sans tenir compte des conditions naturelles de sa naissance. Au contraire même, la naissance illégitime s’offrait comme signe énigmatique de cette deuxième naissance.

   Sur cette question, il faut distinguer entre Marc et Matthieu. Marc m’apparaît comme très proche de l’interprétation primitive de l’Église. Il faut se reporter, à ce propos, au passage concernant la filiation davidique du Christ : « Jésus, continuant à enseigner dans le temple, dit : comment les scribes disent-ils que le Christ est fils de David ? David lui-même, animé par l’Esprit Saint, a dit : assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. David l’appelle Seigneur, comment se fait-il qu’il soit son fils ? » (Mc 12:35-37).
   Ce passage relève moins d’une dispute engagée entre Jésus et les juifs qu’entre ceux-ci et les chrétiens. Pour le comprendre, il faut supposer que l’Église avait déjà prêché le messianisme de Jésus. Les juifs objectent que Jésus ne peut pas être le Christ, puisqu’il n’est pas de la maison de David, les chrétiens contre-attaquent par une énigme : si le Christ doit être de la maison de David, il est alors, comme les scribes l’affirment, fils de David ; mais s’il est son fils, comment se fait-il que David lui-même l’appelle « Seigneur » ? Cette controverse laisse entrevoir une solution : le Christ n’est pas de la maison de David en raison de sa naissance, mais du pouvoir royal que lui octroie Dieu en le faisant Christ et Seigneur.

   Matthieu manifeste un souci qui était absent de l’évangile de Marc. Il ne se contente pas d’affirmer que Jésus est de la famille, ou fils, de David, il cherche à expliquer cette appartenance de façon génétique, par le moyen d’une descendance légitime et d’une généalogie. C’est que l’opposition des juifs s’était faite entre-temps plus violente, affirmant que Jésus n’était pas de la maison de David puisqu’il était un bâtard.
   Matthieu réplique en racontant la naissance de Jésus selon le modèle de celle du héros, et en la faisant précéder d’une généalogie qui le fait descendre d’Abraham par succession paternelle. Entre les deux possibilités offertes par le modèle mythique – l’adoption de l’enfant ou l’insertion de la vierge dans le cadre d’un mariage – il choisit le second. Quoique Marie ne soit pas fécondée par son époux, elle accouche de son enfant au sein d’un mariage légitime. Ainsi l’enfant devient, lui aussi, légitime du fait que le père ne dénonce pas son épouse. Le fils se trouve inscrit juridiquement dans la généalogie du père, mais cette généalogie est-elle suffisante pour sa légitimation ?
   Cette succession de descendances, avec pour point de départ Abraham lui-même, trahit une intention théologique de purification. Cette généalogie surplombe Jésus comme une grâce qui vient du ciel, dans le but de combler le vide existant au niveau de sa naissance naturelle, car Joseph n’étant pas le père de Jésus, Jésus demeure hors de cette généalogie. Il n’est « fils de Joseph » et donc d’Abraham que par adoption, comme dans le récit des héros. Jésus s’insère dans la généalogie des fils d’Abraham parce que Joseph, en prenant Marie pour femme, adopte aussi son fils.
   Mais, puisque cette adoption n’est justifiée que par une révélation que Joseph reçoit en songe, Jésus, chez Matthieu comme chez Marc, n’est fils de David que parce que Dieu le déclare héritier de la royauté davidique. Sa généalogie n’est qu’un pléonasme : Jésus n’est fils de David qu’à partir de la foi qui le considère comme Christ. Hors de cette foi, au niveau de l’histoire, il reste sans père.

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(1) Rm 1:3 ; 2 Tm 2:8 ; Jn 7:42 ; Ac 13:22 ; 34 ; Ap 5:5 ; 22:16. Le nouveau testament ne fait qu’interpréter messianiquement 2 S 7:11-16 ; 23:5 ; 1 R 9:1-9.Retour au texte

(2) Comme Téléphé, fils d’Augé, adopté par le roi de Mysie, et Ion, fils de Créuse, adopté par Xouthos.   Retour au texte



1984




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