ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le bâtard :

le fils de prostitution



Sommaire
Prologue

La méthode

Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
  . Un texte de Thomas
  . Un texte de Tertullien
  . La prudence du Talmud
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé

De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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Un texte de l’évangile de Thomas


   Dans l’évangile de Thomas(1), on trouve ce logion de Jésus : « Qui connaîtra (ou a connu) le père et la mère… de prostituée ? » (105 ou 322).

   Si on se borne à combler les lacunes du texte, sans y apporter de corrections, on peut le reconstituer des deux façons suivantes :
« Celui qui connaîtra (ou a connu) le père et la mère, on l’appellera fils de prostituée »
« Celui qui connaîtra (ou a connu) son père et sa mère, l’appellera fils de prostituée ».
   Selon la première version, Jésus dénie toute valeur à la naissance charnelle : celui qui tient à connaître son père et sa mère est assimilé au fils de prostitution. Ce sens peut être tiré du logion 101 (ou 224) du même évangile, où Jésus affirme qu’il est impossible d’être son disciple si l’on ne hait pas sa mère, car la mère est celle qui donne véritablement la vie. Selon la seconde version, Jésus annonce prophétiquement qu’il sera lui-même appelé fils d’une prostituée par tous ceux qui voudront le connaître par son père et sa mère, c’est-à-dire par sa généalogie. Ce biais suppose qu’ils ne pourront connaître en lui qu’un homme bâtard.

   J’estime que la première version n’est pas soutenable, car ce logion est entièrement différent du logion 101 sur lequel il s’appuierait. En effet, tandis que dans celui-ci on oppose la mère charnelle à la mère éternelle, dans celui-là cette allusion fait défaut : Jésus n’est fils d’une prostituée qu’en raison de sa naissance illégitime(2).
   Il ne reste donc à examiner que la seconde version, qui semble d’autant plus pertinente qu’elle correspond à mon hypothèse sur l’accusation juive selon laquelle Jésus était un fils de prostitution. Plusieurs exégètes ont bien vu que ce logion n’opposait aucun obstacle à cette interprétation, mais ils ont préféré supposer que le texte avait subi des corruptions plutôt que d’admettre que Jésus s’était lui-même déclaré bâtard(3). Par exemple, ils ont supposé que le logion original était une proposition négative : « qui ne connaîtra pas… » ou encore qu’il portait « fils de l’homme » au lieu de « fils de prostituée »(4). À mon sens il n’est pas légitime de supposer l’altération d’un texte pour la seule raison qu’il ne correspond pas à la théologie du Nouveau Testament et surtout à l’interprétation traditionnelle de celle-ci. Il faut par contre profiter de ce texte pour rechercher s’il existe, dans le Nouveau Testament, des passages susceptibles de lui correspondre car, malgré le canon, la tradition néotestamentaire n’est pas homogène. De plus, l’évangile de Thomas présente une interprétation souvent étonnante des logia de Jésus, par le réalisme qui perce sous le voile de l’allégorie gnostique.

   Ce caractère gnostique de l’évangile nous porte à orienter notre recherche sur le quatrième évangile, l’écrit le plus allégorique du Nouveau Testament. Un passage retient aussitôt notre attention : « N’est-il pas Jésus, le fils de Joseph dont nous connaissons le père et la mère ? » (Jn 6:42).
   Ces paroles sont une réplique à celles que Jésus a prononcées sur son origine : « Je suis le pain qui est descendu du ciel » (Jn 6:41). Mais avant de préciser le sens de cette réponse, je noterai la très forte redondance : les deux expression « fils de Joseph » et « dont nous connaissons le père et la mère » constituent un pléonasme. J’estime que l’énoncé « fils de Joseph » est une interpolation, destinée à accorder l’affirmation du quatrième évangile à celles de Mt 13:55 et Lc 4:22. D’ailleurs la question des juifs à Jésus « où est ton père ? » (Jn 8:19) fait penser que, pour eux, il était de père inconnu. En supprimant l’énoncé concernant Joseph, la phrase reste syntaxiquement claire : « N’est-ce pas Jésus, dont nous connaissons le père et la mère ? ».
   Mais pourquoi le fait de connaître le père et la mère constituait-il pour les juifs un argument pour nier que Jésus fut descendu du ciel ? On peut répondre qu’en connaissant son père et sa mère, ils savaient bien aussi qu’il n’était qu’un homme venant de la terre et non du ciel. Mais ce serait aller trop loin car, selon la conception mythique et religieuse, on pouvait bien descendre d’un dieu et naître d’une femme. L’évangéliste qui a écrit ces mots était bien persuadé que Jésus, tout en étant né comme un homme, venait du ciel. La force de l’objection vient donc d’ailleurs : non du fait que Jésus avait un père et une mère, mais de la nature de sa relation avec son père et avec sa mère ? « Connaître son père et sa mère » prend donc le sens de savoir qui étaient son père et sa mère. S’agissant d’une indignité qui, du père et de la mère, rejaillit sur l’enfant au point de constituer une preuve de ce qu’il n’est pas venu du ciel, il ne peut s’agir que d’une génération illégitime, adultérine. La réponse des juifs peut donc s’exprimer ainsi : comment peux-tu descendre du ciel, si nous savons que ton père n’est qu’un inconnu et ta mère une prostituée ou une adultère ? Comment peux-tu descendre du ciel si tu n’es qu’un bâtard ?

   Dans le quatrième évangile, les juifs disent aussi contre Jésus : « nous savons d’où il est » (Jn 7:27). Connaître son père et sa mère signifie savoir d’où il est, c’est-à-dire qu’il vient de la prostitution et de l’adultère.
   Le logion de Thomas correspond à l’affirmation des juifs dans le quatrième évangile. Dans ce logion, Jésus avertit ses disciples que les juifs – qui connaissent son père et sa mère charnels – l’appellent « fils d’une prostituée », l’affirmation de l’évangile de Thomas se trouve donc vérifiée par le quatrième évangile : aux yeux des juifs, Jésus n’était qu’un bâtard.

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(1) Évangile selon Thomas, trad. P. Suarez, Éd. Metanoia, Montélimar, 1974.
      J. Ménard, L’évangile selon Thomas, Éd. Briil, Leiden, 1975.
     R. Kasser, L’évangile selon Thomas, Delachaux-Niest­lé, Neuchâtel, 1961.
     J. Doresse, L’évangile selon Thomas, ou les paroles se­crètes de Jésus, Plon, Paris, 1959.   Retour au texte

(2) « Qui ne hait pas son père et sa mère… il ne lui sera pas possible d’être mon disciple… Car c’est ma mère, la véritable, qui m’a donné la vie ».   Retour au texte

(3) « Notre auteur prend le contrepied de l’anathème lancé par les juifs contre Jésus, dont on ne connaissait pas le père : la vierge était pour eux une prostituée », Ménard, à propos d’Origène (op. cit. logion 105).   Retour au texte

(4) R. Kasser, op. cit. logion 52.   Retour au texte



1984




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u0202100 : 20/01/2018