Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
. Récits de la conception
. Le quatrième évangile
- Le père de Jésus
- Résumé
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Marie dans les récits de la conception virginale
Selon nos dernières analyses, la mère de Jésus est sans nom. Cependant, elle est appelée Marie dans les proto-évangiles de Matthieu et de Luc.
Matthieu dit : « Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph… » (Mt 1:18). Le nom de la mère de Jésus apparaît donc en toute évidence, mais puisque le récit ne parle pas de la naissance de Jésus mais de celle de Jésus-Christ, on peut se demander à juste titre si le nom de Marie lui appartient en tant que mère de Jésus ou de mère du Christ. En effet le récit de Matthieu s’articule sur deux intrigues : celle de la femme trouvée enceinte et celle de la femme enceinte du Saint Esprit : la première correspond à la mère réelle de Jésus, la seconde à la mère messianique selon la traduction grecque d’Is 7:14.
Le nom de Marie convient à la mère de Jésus en tant qu’elle incarne la mère messianique, plusieurs indices le confirment. Tout d’abord les paroles de l’ange à l’adresse de Joseph « fils de David » (Mt 1:20) : la femme trouvée enceinte étant l’épouse de Joseph fils de David devient ainsi la mère du messie davidique. Ensuite, Matthieu lui-même affirme que tout cela advint pour accomplir « l’oracle prophétique du Seigneur » (Mt 1:22), c’est-à-dire l’oracle d’Isaïe concernant la vierge-mère. La femme trouvée enceinte se nomme Marie parce qu’elle est l’incarnation christologique de cette vierge-mère.
La femme trouvée enceinte, la mère de Jésus, n’avait pas de nom dans la tradition populaire reçue par les évangélistes. Celse, nous l’avons vu, affirme qu’elle était « sans fortune, ni naissance royale… car personne, pas même ses voisins, ne la connaissait ». Lui aussi oppose à cette femme inconnue cette autre femme de la fabulation chrétienne, si « belle » que Dieu se serait abaissé à l’aimer(1).
La mère de Jésus semble donc recevoir le nom de Marie au moment où elle incarne cette autre femme, cette vierge que Dieu rend mère : c’est le moment de la renaissance de la femme trouvée enceinte, le moment de la naissance de Marie, mère du Christ, c’est donc une naissance par laquelle la mère de Jésus n’entre pas dans le monde mais dans l’univers de la culture. Le temps historique de cette naissance coïncide avec celui de la formation de la mariologie dans la théologie de l’Église : à la théologie éminemment christique de Paul s’joute une théologie mariale. On peut affirmer que la mère de Jésus naît comme vierge-mère dans les évangiles de Matthieu et de Luc.
La naissance de Marie apparaît plus aisément dans le récit parallèle de Luc : « L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu… auprès d’une vierge destinée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1:20). La fiancée est appelée Marie, dans la mesure où elle incarne la vierge de l’oracle messianique d’Isaïe. Puisque l’enfant recevait un nom déterminé à partir des souffrances que sa mère avait endurées pour le mettre au monde, ou de ses désirs, ou de ses rêves en vue d’accomplir un dessein préétabli par Dieu, quelle est la motivation du nom de Marie ? Luc oppose à l’affirmation de Matthieu selon laquelle la mère de Jésus « avait été trouvée enceinte » la parole de l’ange « tu as trouvé grâce devant Dieu » (Lc 1:30). La femme « trouvée enceinte » devient celle qui a trouvé grâce pour devenir enceinte.
La mère du fils de Dieu naît dans ce moment de grâce : son nom, tiré de cet événement, aurait dû être « Charis » en grec, ou « Noémi » en hébreux. Pourquoi « Marie » ? L’impact du récit de Ruth dans la généalogie de Marie – Ruth est l’ancêtre de Jésus – fait penser que l’Église s’est référée à Noémi, belle-mère de Ruth, et à sa plainte sur sa condition de veuve sans descendance après la mort de ses fils : « ne m’appelez plus Noémi… appelez-moi Mara » (Rt 1:20) : « Noémi », c’est « la gracieuse », la charmante, la femme objet du bon plaisir de Dieu et des hommes, « Mara » est « l’amertume », l’affliction, la sécheresse, la désolation…
« Myriam » ! La mère de Jésus est la femme a laquelle Dieu a fait grâce en la rendant féconde, elle est donc bienheureuse (Lc 1:48) : sujet et objet de plaisir, elle est « Mara » devenue « Noémi », grâce, « Charis ». Mais durant son existence elle doit rester dans l’ombre, comme son fils : son nom de « Charis » demeurera caché, comme chez son fils le nom de « Sauveur ». Elle sera Marie, la femme « transpercée par l’épée » de la souffrance (Lc 2:35), la femme « amère ».
En appelant la mère de Jésus « Marie » et en la faisant disparaître de la vie de son fils, les synoptiques lui ont conféré une personnalité eschatologique. Marie retrouvera son véritable nom messianique lorsque l’Église découvrira que la vierge « graciée » (kecharygme) de Luc n’est autre que l’épouse sans tache du Cantique : « Tu es toute belle, oh Marie, et aucune tache (originelle) n’est en toi » (Ct 4:7). Marie devient Noémi : la gracieuse, la bienheureuse, l’objet du plaisir de Dieu.
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(1) Celse, Rougier, op. cit. 
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