Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
. Conflit Jésus / juifs
. Au puits de Jacob
- Par la Samarie
- Sychar et Jésus
- Le puits, la samaritaine
- L’eau vive
- Le prophète
- La question juive
- La patrie de Jésus
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Au puits de Jacob, à Sychar : le puits et la samaritaine
Une samaritaine vient puiser de l’eau. L’image du puits appelle toujours celle de la femme : selon Jung, le puits est le symbole de l’image maternelle(1). Il suffit de lire la Bible pour constater que les ancêtres du peuple rencontrent la femme de leur premier amour auprès d’un puits ou d’une source : Isaac y rencontre Rébecca (Gn 24:13-67) ; Jacob, Rachel (Gn 29) ; Moïse, Séphora (Ex 2:15-16).
Dans la Bible, la femme qui est assimilée plus que les autres à la source est Agar. L’ange de Dieu lui apparaît pour lui annoncer qu’elle est enceinte lorsque, fuyant Sara sa maîtresse, elle se trouve dans le désert auprès d’un puits (Gn 16:7-16). Puis, chassée par Abraham, elle erre une fois encore dans le désert avec son enfant ; au moment où ils vont mourir, l’ange de Dieu lui réapparaît : « Dieu lui ouvrit les yeux et elle vit un puits ; elle alla remplir d’eau l’outre et donna à boire à son enfant » (Gn 21:17-20).
L’eau est symbole de la vie que Dieu donne par la femme(2).
Comme Isaac, comme Jacob, comme Moïse, Jésus rencontre une femme auprès d’un puits.
Qui est cette femme ? Elle n’a pas de nom, elle ne porte pas sur son visage les signes distinctifs d’une personne réelle. En peinture, cette image donnerait une figure féminine caractérisée par des traits symboliques, comme ceux de la justice, de la charité, etc., elle est une samaritaine qui vient puiser de l’eau au puits de Jacob. On saura aussi par la bouche de Jésus quelque chose de son histoire : elle a eu cinq maris, mais cette histoire est plus celle d’un personnage allégorique que d’une personne historique. Qui est donc cette samaritaine ? Elle représente toutes les femmes de Samarie qui viennent puiser de l’eau au puits de Jacob… elle est la fille d’Israël.
À la lumière de ce symbolisme, on peut dire que Jésus vient au puits de Jacob pour rencontrer la femme de son amour.
Le même champ allégorique de référence laisse entrevoir qu’il va dans la terre de ses ancêtres(3). Le récit le situe dans le contexte du retour du héros, comme Ulysse ou Oreste. Mais une fois de retour dans sa terre, a-t-il rencontré sa sœur, comme Isaac, Jacob ou Oreste, son épouse comme Ulysse, ou encore sa mère(4) ?
Comme dans le récit du retour du héros, il n’est pas reconnu par la femme : le temps écoulé et l’éloignement ont gravé en lui les traits d’un étranger, juif en l’occurrence. Pour être reconnu par la femme, Jésus doit lui manifester un signe, mais au lieu de ce signe il lui propose une énigme : il lui demande à boire. L’énigme est qu’un juif n’aurait pas demandé de l’eau à une samaritaine, Jésus est en lui-même cette énigme. La femme ne comprend pas, mais cette incompréhension est pour Jésus l’occasion de donner le signe : s’il demande à boire à la samaritaine alors qu’il est juif d’apparence, voilà le signe qu’il est à la fois juif et samaritain.
L’énigme pose donc la question de la personne de Jésus : qui est Jésus ?
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(1) C.G. Jung, Métamorphose de l’âme et de ses symboles, George, Genève, 1953, p. 599. 
(2) Le symbole du puits est admirablement exprimé dans Pr 5:15-20. On doit boire l’eau de son propre puits, qui est pour nous et non pour les étrangers : on doit se réjouir de la femme de la jeunesse et être épris d’elle, sans se laisser égarer par les étrangères. La métaphore « Le puits est la femme – la femme est le puits » suppose le symbole puits = femme. 
(3) Je suis d’accord avec Carmichael pour dire que les exégètes négligent de prendre en considération le thème homme – femme présent dans ce récit (C. Carmichael, « Marriage and the samaritan women », in New testament studies (26), 1979, p. 335). À mon avis, les commentaires, malgré leurs savantes analyses exégético-philologiques, sont viciés par le présupposé réaliste. Mais Carmichael, à cause de ce préjugé, ne parvient pas à prendre ses distances vis-à-vis de l’interprétation réaliste, même s’il met en évidence le problème. 
(4) C’est le retour du héros qui nous permet d’inscrire dans un même cadre les rencontres d’Isaac et de Rébecca, de Jacob et de Rachel (Gn 24:13-67 ; 29), d’Iphigénie (Euripide, Iphigénie en Tauride), d’Ulysse et de Pénélope (Odyssée).
Naturellement chaque fable, tout en s’inscrivant dans la même structure, possède ses caractéristiques propres. Isaac et Jacob reviennent, pour choisir une femme, au sein de leur propre clan, cependant qu’Oreste rencontre ses propres sœurs ; quant à Ulysse, en rentrant dans sa patrie il rencontre son serviteur Eumée, son fils Télémaque, sa nourrice, son père, enfin Pénélope sa femme. Les fables varient aussi quant au signe de reconnaissance, la trame exigeant seulement que le héros se présente comme un étranger. Dans le récit d’Isaac, cette exigence est respectée puisqu’Isaac ne va pas chercher lui-même sa femme, mais envoie un serviteur ; l’incognito est ici réalisé à travers un personnage. 
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