Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
- Introduction
- Historicité
- Motivations
- Regard critique
- La crise de vocation
- Le baptême de Jésus
- Résumé
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Si Jésus s’est rendu auprès de Jean pour devenir son disciple, il semble évident qu’il a dû recevoir son baptême. Passage obligatoire pour les repentants, le baptême était aussi rite d’initiation à l’ascétisme eschatologique du prophète du Jourdain. Cette conclusion demande cependant à être précisée, puisqu’elle se heurte à d’autres considérations tirées de passages néotestamentaires.
En parcourant dans les Actes les passages concernant les débuts de la prédication de Jésus, on constate qu’ils ne font aucune allusion à son baptême par Jean. S’ils précisent que Jésus a commencé sa prédication à la suite du prêche du baptême par Jean, ils trahissent tous le souci d’éviter toute affirmation susceptible de faire croire que Jésus avait reçu ce baptême et même qu’il s’était rendu au Jourdain pour rencontrer Jean. Le commencement de sa prédication est exprimé ainsi : « Depuis (apo) le baptême de Jean » (Ac 10:22), « À la suite (metà) du baptême que Jean a prêché » (Ac 10:37).
En se fondant sur ces passages, il faudrait donc affirmer que la rencontre de Jésus et de Jean, et par conséquent sa réception du baptême, est fictive, ne pouvant avoir que des raisons théologiques tardives. On pourrait affirmer avec Guérin que l’Église des évangiles a élaboré l’ensemble de la scène du Jourdain pour consacrer la pratique du baptême, « courante alors, par un récit faisant participer Jésus à ce même baptême » (1).
Je préciserai tout d’abord que, des passages dont je viens de parler, un au moins associe l’onction de Jésus par l’Esprit à la prédication de Jean, quoiqu’il ne fasse aucune allusion au fait que Jésus ait reçu le baptême (Ac 13:24-25). À cause de cette omission, il semble que ce texte se fonde sur une source qui n’est pas celle employée par les évangélistes qui, eux, inscrivent d’une façon explicite cette onction dans le cadre de la cérémonie du baptême. L’existence de sources en conflit nous oblige à rechercher un schéma susceptible d’expliquer leurs oppositions et leurs convergences.
La pratique du « baptême de Jean » est sans doute le rite le plus ancien de l’Église, puisqu’il précède la prédication de Paul et remonte à la toute première communauté des disciples de Jésus(2). Or l’existence d’une telle pratique est inexplicable si elle était tout à fait étrangère à Jésus, car il s’agissait d’une cérémonie qui marquait l’appartenance à la secte et l’initiation à ses doctrines, et non d’un simple décorum. Les disciples de Jésus n’auraient pas pratiqué le « baptême de Jean » s’ils n’avaient pas eu conscience de faire partie, en tant que tels, de la grande famille – ou secte – des baptistes, et ils étaient compris et acceptés comme tels.
Cette communauté a pu vivre dans le judaïsme sans grands risques et dans une paix relative, dans la mesure où elle prononçait deux paroles (logos) : une publique (koinos), l’autre secrète et mystérieuse (kriptos). Par la première, elle manifestait son attachement à Jésus à la lumière de la doctrine fondamentale du baptisme : Jésus était un serviteur (païs) de Dieu, qui avait reçu l’Esprit à la suite de la prédication du baptême par Jean, pour en continuer et accomplir l’intention prophétique. Par la seconde, elle manifestait dans ses réunions secrètes d’initiation cet accomplissement : Dieu aurait manifesté Jésus, son serviteur, comme Christ, comme « fils » (uios), lors de sa venue. Le message concernant l’opposition du baptême d’Esprit au baptême d’eau faisait partie de cette parole secrète d’initiation, c’est pourquoi elle était considérée comme « parole de Jésus » (logion). Pour l’heure, les disciples pratiquaient le « baptême d’eau », c’est-à-dire le « baptême de Jean ». Lorsque Jésus se serait manifesté comme Christ, il baptiserait lui-même du baptême de feu ou d’Esprit, en supplantant celui de Jean (Ac 1:4-5).
C’est Paul qui a rompu l’harmonie entre les deux paroles. En annonçant que Dieu avait élevé Jésus au-dessus de tout pouvoir, en le décrétant Christ et fils de Dieu, il proclamait en même temps l’avènement du baptême par l’Esprit. Il s’ensuivait que le baptême d’eau, celui de Jean, était dépassé par celui donné « au nom de Jésus »(3). La proclamation du baptême d’esprit était nouvelle, dans la mesure où elle transformait le « logos kryptos », secret, en « logos koinos », public, engendrant ainsi une rupture entre l’Église et le judaïsme. L’Église n’était plus une secte judaïque et baptiste, mais une communauté d’esprit messianique, dont la naissance marquait la mort aussi bien du judaïsme que du baptisme, d’où la lutte que celui-ci a engagé contre la nouvelle doctrine.
Dans cette lutte, le judaïsme baptiste a trouvé ses arguments dans sa propre mémoire, en rappelant que si Jésus avait bien été baptisé, il était toutefois devenu un renégat et avait été excommunié de la congrégation des baptistes. C’est cette accusation qui constitue la matière du document juif sous-jacent aux évangiles.
Dans ses trois premières séquences, l’évangile de Marc contient la réponse de l’Église à cette accusation : Jésus a bien reçu le baptême par l’eau, mais pour l’accomplir par le baptême de feu. En effet, aussitôt qu’il l’a reçu, l’Esprit de Dieu est descendu sur lui, pour le consacrer comme fils de Dieu.
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(1) P. Guérin, Y a-t-il eu conflit entre Jean-Baptiste et Jésus ?, George-Fischbacher, Genève-Paris, 1933, p. 145. 
(2) Ac 1:5-22 ; 10:37 ; 11:16 ; 13:24 ; 19:3-4. 
(3) Parmi les nombreux passages, il suffit de rappeler Ac 19:2-4. C’est Paul qui adresse aux Éphésiens la question fatidique : « Avez-vous reçu le Saint Esprit ? ». Et quand ils répondent qu’ils n’ont même pas entendu dire qu’il y avait un Saint Esprit, Paul prononce le logion qui marque le point de séparation entre l’Église judaïsante, encore attachée au Baptiste, et l’Église pneumatique : « Jean a baptisé du baptême de repentance, disant au peuple de croire en celui qui venait après lui, c’est-à-dire Jésus ». Les Éphésiens furent donc baptisés « au nom du Seigneur Jésus ». Ces Éphésiens croyaient-ils au messianisme de Jésus, bien qu’ils n’aient été baptisés que par le « baptême de Jean » (Ac 18:25), comme Apollos, qui était passé à Éphèse avant Paul (Ac 18:24) ? 
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