Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
- Introduction
- Tableau des textes
- Cohérence du discours
- Doutes sur l’attribution
- Attribution à Jésus
. Synopse
. Interprétation
- Les logia du discours
- Vérification
- Résumé
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Interprétation de la synopse
La synopse montre que le discours s’inscrit dans le cadre du message de Jésus, mais d’une façon différente selon les parties. À la première partie correspondent textuellement d’autres énoncés. La deuxième semble conforme quant à la matérialité des préceptes, mais non quant à leur sens. La troisième, enfin, se rapporte à des énoncés qui s’accordent à elle par leur thématique, mais ni dans leur expression grammaticale ni dans leur contexte.
La convergence l’emportant sur la divergence, il serait logique de conclure que ce discours revient, en grande partie, à Jésus. Mais avant de tirer cette conclusion, il faut chercher à savoir si ces rapports de divergence et de convergence ne peuvent pas être expliqués par d’autres hypothèses.
On pourrait en effet supposer que Jésus, s’étant formé à l’école de Jean, a subi l’influence du courant théologique et ascétique qui avait marqué le Baptiste. Dans ce cas, il aurait eu en commun avec lui un fond culturel – le kerygme de l’école – qu’il aurait sans doute interprété et vécu de façon personnelle, mais qui serait resté le même pour l’essentiel. Les divergences devraient alors être comprises comme relevant du processus d’appropriation de la tradition commune.
On peut appuyer cette hypothèse sur le fait que la catéchèse de l’Église ne reconnaît pas de rupture entre le Baptiste et Jésus, celui-ci reprenant, en un processus d’accomplissement, l’œuvre du premier en l’intégrant même dans son message.
Mais cette hypothèse ne saurait résister à la critique car elle ne tient pas compte du fait que la première et la troisième partie du discours s’accordent avec le message de Jésus alors qu’elles s’opposent au message supposé de Jean ; quant à la deuxième partie, elle semble s’inscrire dans la perspective du Baptiste, alors qu’elle marque une distance par rapport aux préceptes de Jésus.
Bref, le discours est conforme au message de Jésus là où il s’oppose à celui de Jean, et il se sépare de lui là où il lui correspond. On n’y trouve donc rien qui puisse le rattacher à Jean, hormis dans la partie où il n’est pas en relation avec le message de Jésus.
On pourrait objecter que les évangélistes, ignorant le véritable discours de Jean, auraient cherché à le reconstruire en se servant des logia de Jésus, convaincus qu’ils étaient qu’il n’y avait pas d’opposition entre les deux messages. Selon Matthieu, en effet, Jean n’aurait-il pas annoncé que le royaume de Dieu était proche(1) ?
Cette interprétation est visiblement fausse, du fait que les évangélistes ont choisi parmi les logia de Jésus non pas ceux qui sont conformes à la prédication de Jean, mais précisément ceux qui s’y opposent. Ici aussi l’objection ne tient pas compte de l’opposition entre le discours et le message de Jean, opposition que j’ai mise en lumière dans le paragraphe précédent.
Si l’on veut saisir la relation d’appartenance du discours, il faut donc tenir compte à la fois de ses rapports de conformité avec le message de Jésus et de son opposition à celui de Jean. Or l’hypothèse que j’ai proposée au commencement de ce chapitre, selon laquelle le discours de Jésus aurait été attribué à Jean dans un but de rétorsion juridique, correspond à cette double exigence. Il reste à expliquer les raisons de la convergence ou de la divergence du discours par rapport au message de Jésus.
Les thèmes de la première partie correspondent presque textuellement à des logia de Jésus épars dans l’évangile de Matthieu. On peut expliquer ce phénomène d’écriture en supposant que le discours de Jésus avait été censuré, au temps de la tradition apostolique, par un processus de destructuration et de réduction à des « dits » (logia). On sait que les énoncés extraits de leur contexte perdent le sens qu’ils possédaient dans le discours, pour assumer un sens générique. Ainsi les logia se lisent moins comme des affirmations que comme des proverbes, prenant un sens différent selon le récit ou le discours dans lequel ils viennent s’insérer.
Ce discours de Jésus fut exhumé par ses accusateurs après l’apparition de l’évangile de Marc, dans l’intention de mettre en évidence les propositions hérétiques et scandaleuses prononcées par Jésus et de justifier ainsi l’équité du jugement porté contre lui. Matthieu releva le défi de l’accusation en reconstruisant le discours de Jésus à partir des logia jadis tirés de ses propos et en le mettant dans la bouche de Jean. Cela ne l’empêcha pas d’utiliser ailleurs les mêmes logia, en les insérant dans d’autres contextes que celui du baptême.
Le procédé fut le même pour la troisième partie, mais le fait que ces mêmes logia se trouvent inscrits dans des discours de Jésus nous donne à penser que Jésus lui-même avait repris la thématique de son premier discours dans son enseignement ultérieur. Quant à la deuxième partie du discours, qui ne se trouve que chez Luc, elle peut être expliquée par le fait que l’évangéliste, s’apercevant que le contenu de ce discours ne correspondait pas tout à fait avec la perspective prophétique de Jean, ait voulu l’adapter en mettant dans sa bouche des conseils et des ordonnances conformes à son enseignement éthique.
Il convient donc de conclure que, malgré son attribution à Jean, ce discours est de Jésus puisqu’il correspond au message de celui-ci précisément sur les points où il s’oppose à celui de Jean.
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(1) Mt 3:2. 
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