ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




Introduction




5- Les évangiles, entre raison et foi



PROLOGUE

INTRODUCTION
- La narration des évangiles
- Documents d’histoire ?
- Processus phénoméno-
  logique de la foi

- Jésus comme Christ
- Les évangiles entre raison
  et foi

  - Contexte historique
  - Une narration historique
  - Trois images de Jésus
  - Le genre littéraire des
    évangiles
- Les évangiles comme
  anti-histoire

- Fois
- Approche historique de
  Jésus

- Recherche historique sur
  Judas


REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVAN­GI­LES

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Les évangiles comme narration historique sur « Jésus-Christ »


   Revenons au texte où Luc a exposé les fondements de certitude de son évangile. Se proposant d’écrire sur les « choses qui se sont accomplies » au sujet de Jésus-Christ, il voulut remonter jusqu’aux « témoins oculaires », c’est- à- dire aux disciples eux-mêmes de Jésus. Se borna-t-il à relater ce que les témoins ont transmis, ou voulut-il transcrire leur témoignage en un récit historique, selon le statut des « res gestae » ? Sans doute. Luc voulait écrire un récit « narratif » (diegesis) « sur des faits qui se sont accomplis », expression conforme aux « res gestae ».

   Cependant, un fait nouveau avait surgi dans le laps de temps qui séparait Luc de ses sources. À l’annonce par les apôtres que Jésus était le Christ, les Juifs s’étaient élevés pour contester avec véhémence leur confession de foi, qui était pour eux un scandale et un blasphème. Certes, ils ne niaient pas que le « Christ des Écritures » devait venir dans le monde sous forme humaine, mais ils refusaient que cet homme fut Jésus.
   Le Judaïsme ne faisait que prolonger une opposition commencée avec Paul. Des polémiques surgirent un peu partout dans l’empire, à Alexandrie et à Rome. On en trouve des traces dans les œuvres de plusieurs « pères de l’Église », comme Tertullien, Irénée, Origène, etc. Le centre de ces polémiques était Jésus, que les « chrétiens » présentaient comme le Christ, alors que les Juifs le contestaient.
   Dans ces controverses, les chrétiens en restaient au niveau théologique, ne produisant aucune information nouvelle sur Jésus, et n’argumentant qu’à partir de l’interprétation des Écritures, tandis que les Juifs apportaient des informations infamantes, qui présentaient Jésus comme indigne d’être reconnu comme le Christ. Dans le Contre Celse, par exemple, Origène rapporte des citations recueillies par Celse dans les milieux juifs, et qui sont toutes des accusations contre Jésus, qu’Origène réfute en se référant aux évangiles, pour lesquels Jésus est le « Christ des Écritures ».
   Quel fut le résultat de ces disputes ? L’une et l’autre partie demeuraient scandalisées, les Juifs parce qu’on osait déclarer Christ un homme justement condamné par la Loi, et les chrétiens parce que les Juifs n’avaient pas reconnu le Christ qu’ils attendaient et l’avaient tué. Le scandale éclatait dans cette accusation mutuelle, dont on peut se faire une idée par ce passage du Discours véridique de Celse : « Ceux qui croient au Christ font grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu. Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ? » (Origène, Contre Celse, 11,8).

   Les évangélistes ne pouvaient pas ignorer ces accusations, ni omettre de les réfuter et aller au fond des choses. Les milieux chrétiens pensaient que Jésus n’avait pas donné les signes de son messianisme. Les Juifs l’avaient accusé et condamné pour n’avoir pas donné, pour preuve de son prophétisme, des signes venant du ciel. Quant aux disciples, ils l’avaient renié et abandonné, parce qu’ils ne croyaient pas en lui. Par surcroît, Paul avait rendu le problème plus difficile encore : pour lui, le Fils de Dieu, né d’une femme, avait renié sa nature divine en se montrant pleinement un homme comme quiconque. Il était évident que Jésus n’avait pas manifesté les signes, ni du prophète ni, moins encore, du Christ. Les Juifs l’auraient-ils condamné et les disciples renié eux-mêmes s’il les avait donnés ?
   Les évangélistes trouvèrent la solution du problème, et parvinrent à accorder les différentes tendances. Jésus avait donné des signes de sa divinité par sa naissance et sa mort comme Fils de Dieu, et en accomplissant sa mission de Sauveur. Ses actes étaient divins. Comme tels, ils ne pouvaient qu’aller à l’encontre de la Loi et des traditions juives, parce qu’ils en démontraient les limites et les lacunes.
   Ainsi, il ne pouvait prêcher que la transgression du sabbat, la liberté à l’égard de la Loi, le refus des traditions et le rejet des privilèges de la génération d’Abraham. Son but n’était pas la glorification du Judaïsme mais sa disparition. C’est pourquoi, pour les Juifs, ses actes et ses paroles n’étaient que péchés et blasphèmes. Ils ne pouvaient pas ne pas être convaincus que Jésus n’agissait qu’à l’instigation des démons et non de l’esprit Saint du Dieu qui avait élu le peuple juif comme son serviteur. Jésus ne pouvait que mériter la mort.
   Cependant, chacun de ses actes ou de ses mouvements engendrait un miracle, qui faisait exploser la foi du Judaïsme et les critères d’interprétation des Écritures. Les Juifs ne voulurent ni ne purent accepter leur désintégration. Les évangélistes furent convaincus qu’Isaïe l’avait prophétisée : « Va et dis à ce peuple : vous entendez et vous ne comprenez point... rends insensible le cœur de ce peuple, endurcis leurs oreilles » (Is 6:9-10). C’est pourquoi ils attribuèrent ces paroles à Jésus (Mt 13:14).

   Il ne restait aux évangélistes qu’à tenir compte de ces polémiques en puisant dans les accusations juives des actions de Jésus interprétées selon le critère de la Loi. Il leur a suffi de rejeter leur interprétation pour reconstituer les faits de Jésus sur le modèle du « Christ des Écritures » (Lc 24:26).
   Ils parvinrent à rédiger la narration historique de « Jésus-Christ » en se fondant à la fois sur le témoignage des apôtres et sur celui des Juifs, en inversant l’interprétation de ceux-ci, pour lui redonner celle donnée par les premiers.



juillet 1987




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t602520 : 06/11/2017