ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




5- Le récit de la trahison



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
  - L’accusation
  - La pièce à conviction
  - La défense
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Les faits vus à travers les récits de l’accusation


   Les évangiles divergent dans le récit de la trahison. Selon Jean, Judas serait venu en assumant la responsabilité de la cohorte et des gardes que les grands prêtres et les pharisiens lui avaient confiés (Jn 18:3). Selon Luc, il précédait ces gens (Lc 22:41). Marc et Matthieu affirment que cette foule était avec lui (Mc 14:43 ; Mt 26:47).
   Du dernier au premier des récits, un decrescendo établit entre Judas et les autres une distance, qui nous permet d’affirmer que Judas, au premier moment, a été vu seul. Les synoptiques sont d’accord pour dire qu’il s’est approché de Jésus quand celui-ci parlait encore avec ses disciples, à peine réveillés. Rapportons le récit de Matthieu : « Et comme il parlait encore, voici Judas, l’un de douze, vint… Et aussitôt s’avançant vers Jésus... » (Mt 26:47;49). Les gens sont donc non seulement séparés de Judas mais invisibles, en sorte que Judas s’approche seul de Jésus.
   Il y a aussi accord entre eux, puisqu’ils rapportent la venue de Judas comme une trahison. Ils le font comprendre en précisant qu’il était venu pour livrer Jésus. Marc et Matthieu font également allusion au fait que Judas avait convenu de donner à Jésus un baiser, en signe de sa reconnaissance. « Or celui qui le livrait leur donna un signe disant : celui que je baiserai c’est lui : emparez-vous de lui » (Mc 14:44 ; Mt 26:48). Quant à Luc il omet cette précision, mais il supplée à cette omission en faisant reconnaître par Jésus lui-même le baiser que Judas lui donne comme signe de sa trahison.

   D’accord pour reconnaître le fait comme une trahison et le baiser comme son signe, les synoptiques divergent cependant dans la description du fait. La narration de Matthieu est simple et précise : « Et aussitôt, s’avançant vers Jésus, il dit : Salut, Rabbi, et il lui donna un baiser. Mais Jésus lui dit : Compagnon, pourquoi es-tu ici ? Alors ils mirent la main sur Jésus » (Mt 26:49-50).
   Judas s’approche de Jésus, le salue et l’embrasse comme d’habitude, sans engendrer de soupçon chez lui. En effet Jésus, après avoir reçu et donné le baiser, lui parle comme à un ami, l’interrogeant sur les raisons de sa venue. L’appellation de « compagnon » est très significative, car elle indique que Judas est la personne avec laquelle il partage sa mission. Il ne s’agit donc pas d’un baiser codé, mais de celui que le disciple avait l’habitude de donner à son maître.
   Les paroles de Jésus à Judas ne sont pas une accusation, mais une interrogation qui dénote chez lui de la surprise, de l’étonnement et de la crainte. Surprise, parce qu’il retrouve Judas à la place de ceux qu’il attendait pour le libérer ; étonnement, parce qu’il s’aperçoit qu’il y a aussi d’autres gens ; crainte parce qu’il soupçonne qu’ils sont peut-être tombés tous dans un piège. Les paroles qu’il adresse à Judas sont celles d’un homme surpris, étonné, plein de doutes, mais qui ne se sent pas trahi.

   On ne retrouve pas tout à fait la même scène chez Marc et Luc, qui présentent le baiser de Judas comme le signe même de la trahison. Chez Marc (Mc 14:43-46), Judas s’approche de Jésus en l’appelant « maître », mais lui donne le baiser sans le saluer. Jésus n’a même pas le temps de lui adresser la parole, car les envoyés du Sanhédrin le saisissent aussitôt. Le baiser de Judas aurait donc été donné à Jésus selon le code d’une trahison fixé d’avance. Une fois ce baiser donné, Judas disparaît aussitôt.
   Selon Luc (Lc 22:47-48), Judas s’approche de Jésus et l’embrasse, mais sans le saluer, se bornant à l’appeler « maître ». Par contre, l’évangéliste laisse un délai pour que Jésus parle avec le traître, avant que les gardes le saisissent : « Judas, par un baiser, tu livres le Fils de l’homme ? » (Lc 22:48). Ces paroles non seulement désignent Judas comme un traître; mais l’accusent de l’être par un baiser d’amitié. De plus, c’est Jésus lui-même qui est l’accusateur.

   Les synoptiques accusent donc tous Judas d’être venu à Gethsémani pour trahir son maître, mais il existe entre eux une profonde différence, non seulement de style mais, dirais-je, d’objectivité. Matthieu conserve l’information originelle du fait, Marc et Luc la déterminent par des détails qui la modifient et l’altèrent. Ces différences dans les synoptiques sont référentielles.
   Quant au baiser, ils l’interprètent également comme signe de trahison, mais ils diffèrent dans la narration du fait. Marc et Luc soumettent le fait à la trahison jusqu’à en modifier le sens, tandis que Matthieu reste dans les limites de l’information originelle. Il importe donc de revenir au texte de Matthieu pour le prendre comme fondement de la recherche ultérieure.

   Nous pouvons faire nôtre la question de Jésus à Judas qui demeure sans réponse : « pourquoi es-tu ici ? » (Mt 26:50). Nous poserons cette question aux évangélistes, afin de découvrir le fondement de leur interprétation. Mais nous chercherons à la poser aussi à Judas, dont nous avons suivi les pas depuis la cène, et auquel Jésus avait donné le pain trempé pour qu’il accomplisse une mission précise. En effet, ce même Judas revient vers Jésus quelques heures après pour lui apporter des nouvelles au sujet de sa mission. Quoique troublante, la question de Jésus n’est pas une accusation. Il ne juge pas son « compagnon », car il ne doute pas de sa fidélité, mais il attend de lui une explication pour que le fait ne reste pas une énigme. Nous chercherons à répondre à sa place.



juillet 1987




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t614100 : 02/12/2017