ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




7- L’arrestation de Jésus



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
  - Enchaînement des
     narrations

  - Apories et censure
  - La déception de Judas
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Regard sur l’enchaînement de la narration des évangiles


   Ce premier chapitre sera consacré à l’enchaînement des quatre récits, de Marc à Jean, sans toutefois les analyser, pour y déceler l’interprétation du fait par leurs auteurs. Je dis « enchaînement » parce que les récits, dans leur succession historique, apparaissent liés, le plus récent empruntant ou censurant des phrases à celui qui le précède, selon le critère de la représentation du Christ. Le discours des récits est semblable ainsi à un fleuve qui grossit par affluences successives.

   Pour Marc, (nous l’avons déjà indiqué) Judas est arrivé à Gethsémani précédant une foule nombreuse (Mc 14:43) et il donna à Jésus un baiser, codé comme le signe convenu de la trahison (Mc 14:44-45). Jésus fut aussitôt arrêté. La résistance de la part des disciples s’est limitée au coup d’épée donné par un disciple à un serviteur du Grand-Pontife, lui tranchant l’oreille droite (Mc 14:47). Si Jésus n’a rien reproché à ce disciple, il a protesté contre les gens venus l’arrêter, armés de bâtons et d’épées, comme s’il était un « brigand » (Mc 14:48). Les disciples en profitèrent pour s’enfuir. Récit constitué de « flashs », comportant de nombreuses omissions sur l’attitude de Jésus et sur sa personnalité christique.

   Matthieu suit la trame de Marc, en comblant ses lacunes par des affirmations qui mettent en relief la personnalité christique de Jésus. Il ne laisse pas Jésus sans réaction au coup d’épée du disciple qui blesse le serviteur du Pontife : « Remet ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée », lui dit-il (Mt 26:52). Ainsi fait-il comprendre qu’il aurait pu se défendre, s’il l’avait voulu : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26:53). À ceux qui l’ont lié, au même reproche que chez Marc il ajoute que tout cela lui arrive « afin que les écrits des prophètes soient accomplis » (Mt 26:54). Et il se laisse arrêter comme un brigand, enchaîné, pour accomplir les Écritures. Matthieu se soucie de la personnalité christique de Jésus, en conformité avec les Écritures.

   Luc cherche à intervenir en faveur de l’intégrité du fait. La pointe du récit de Luc porte sur la réaction à l’agression contre Jésus, qui ne provient pas d’un seul disciple, comme chez Matthieu, mais de là concertation entre tous : « Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, dirent : Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? Et l’un d’eux frappa le serviteur du souverain-sacrificateur et lui emporta l’oreille droite. Mais Jésus, prenant la parole, dit : Laissez ! Arrêtez ! et ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit » (Lc 22:49-51).
   Jésus n’a donc pas été arrêté dès le baiser de Judas, puisque les disciples ont eu le temps d’opposer une résistance. À leur demande d’user de l’épée Jésus n’a pas répondu, mais il a laissé faire. Il est compréhensible de ne pas trouver, chez Matthieu, le reproche adressé au disciple. L’amputation de l’oreille du serviteur de souverain-Pontife semble indiquer que Jésus pouvait s’opposer à ses agresseurs, et même les tuer, s’il l’avait voulu. Il manifesta ce pouvoir en guérissant ce malheureux serviteur par le toucher de sa main. Les paroles qu’il leur adresse résonnent moins comme une plainte que comme une menace : « Mais c’est ici votre heure et la puissance des ténèbres » (Lc 22:53). Les vagues du discours se neutralisent. Luc a pu ralentir le refoulement de l’information, dans la mesure où Dieu lui-même a fixé le déroulement de leur histoire.
   Si, pour Luc, il semble que Jésus ait voulu empêcher Judas de lui donner le baiser de la trahison, pour Jean le traître n’a même pas osé s’approcher de lui : il le trahit en indiquant le lieu où il se tenait. Ceux qui étaient venus l’arrêter ne purent donc pas le reconnaître. Jésus lui-même, et non son entourage, comprit « ce qui était en train d’arriver », dès qu’il vit la foule.

   Refusant d’être défendu, ni de recourir à l’épée, il avance d’un pas assuré vers ses agresseurs, et leur demande qui ils cherchaient. « Jésus de Nazareth », lui répondent-ils. « C’est moi ! ». Par trois fois ils furent terrassés (Jn 18:6-7). Le pouvoir de la parole de Jésus fut plus fort que les bâtons des huissiers et les épées de la cohorte. Sa force parvint à contenir les disciples, qui voulaient s’enfuir, car elle obligea la cohorte à les laisser partir. Ainsi, pour Jean, les disciples ne se sont pas enfuis, ils sont partis. Jésus n’a donc pas été capturé, il n’a été ni livré par Judas, ni abandonné par ses disciples, il s’est livré lui-même.
   Quant au disciple qui a coupé l’oreille du serviteur du souverain-sacrificateur, il n’a pas échappé à l’attention de Jean : il se nommait Pierre, et le serviteur, Malchus. Or Pierre trancha l’oreille droite de Malchus au moment précis où Jésus le fit échapper à un coup d’épée mortel de la part des soldats romains. « Remets ton épée dans le fourreau – dit Jésus à Pierre – ne boirais-je pas la coupe que mon père m’a donnée à boire ? » (Jn 18:11). Étrangement, Jean épargne à Pierre les paroles de reproche que Matthieu faisait dire par Jésus au disciple qui avait blessé le serviteur : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée, périront par l’épée » (Mt 26:52). À cause de sa lâcheté, Pierre dans le récit de Jean, méritait sans doute ces paroles dures et terriblement prophétiques.

   Cette lecture nous permet-elle d’avoir une idée précise de ce qui s’est passé lors de l’arrestation de Jésus ?
   Par la méthode exégétique, qui recherche un accord entre les auteurs, nous n’en trouvons aucune, hormis le fait que Jésus a été arrêté. L’accord des récits grâce à des emprunts et des censures relève moins du souci de l’objectivité du fait que de sa conformité à la figure du Christ des Écritures. Il n’y a pas accord mais contradiction entre eux sur les faits.
   Le baiser de Judas trahit Jésus, mais quelle sorte de baiser ? Baiser codé, baiser d’un compagnon, baiser qui n’a pas eu de suite, ou n’y a-t-il eu aucun baiser ? Le baiser donné, Jésus a été arrêté aussitôt ; a-t-il eu le temps de parler avec le traître, de concerter avec les disciples une défense, de résister ? A-t-il eu tout le temps nécessaire puisque, une fois ses agresseurs terrassés par sa parole, il s’est livré de lui-même ?
   Il y a contradiction, parce que les auteurs n’ont pas pour modèle le fait, mais une image du Christ tirée des Écritures : le fait est refoulé, ou modelé, pour devenir support cohérent de cette image. Pour parvenir à la connaissance du fait, il convient donc d’abandonner la méthode exégétique, qui suit le sens des récits, pour déstructurer le discours afin d’exhumer les informations refoulées du fait.



juillet 1987




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t616100 : 03/12/2017