ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


De la naissance de Jésus-Christ
à la naissance de Jésus




L’évangile de Luc : la naissance du fils de Dieu




La visitation :
La dynamique de la rencontre



Sommaire
Avertissement

Introduction

La naissance chez Paul

L’évangile de Marc

Matthieu : naissance du roi des juifs

Luc : naissance du fils de Dieu
- L’annonciation
- La visitation
  . Le départ de Marie
  . La rencontre
  . Le Magnificat
- La naissance
- La présentation

La naissance du héros

Jean : le samaritain

Marie

Joseph

Les noms de Jésus

L’évangile de Thomas

Témoignages des juifs

Jésus


. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   La rencontre tire sa dynamique et son sens de la salutation de Marie à Élisabeth. Théologiquement, la rencontre des deux mères est fonction du vis-à-vis des deux enfants qu’elles portent. La rencontre de Jésus et de Jean sur les bords du Jourdain est anticipée au temps de leur gestation. C’est pourquoi Élisabeth sent son enfant tressaillir dans son sein à la salutation de Marie.

   Le récit, cependant, ne semble pas être fidèle à cette conception christologique, car il passe souvent de l’enfant à la mère. Il convient d’examiner à ce propos les paroles qu’Élizabeth prononce après que l’enfant ait tressailli dans son sein : « Tu es bénie parmi les femmes, et béni est le fruit de ton sein ».
   Théologiquement, on doit supposer qu’Élisabeth invoque la bénédiction de Dieu sur Marie parce qu’elle a été faite mère du fils de Dieu, du « Seigneur » qui a fait tressaillir son propre enfant dans son sein. Mais alors on comprend mal pourquoi Élisabeth invoque la même bénédiction sur l’enfant, qui est lui-même le fondement de la bénédiction de Marie. Je dis la même bénédiction, pace qu’on ne trouve pas dans le texte le verbe « eulogetos », qui est propre à Dieu, mais « eulogemenos », qui est propre à l’homme et qui a été employé pour la mère. Ce verbe semble se prêter à être considéré comme une aporie : l’évangéliste, supposant toujours dans l’arrière-plan de son récit que Marie a été accusée de prostitution, confie à Élisabeth le rôle d’attester la pureté de Marie et la sainteté de son enfant.

   Cette interprétation est plus évidente si nous passons de la synchronie de ce passage à sa diachronie. En effet, Luc le construit en se référant aux Écritures, et en particulier à la bénédiction qu’Ozias avait donnée à Judith après son exploit de la mise à mort d’Holopherne.


Jdt 13:18

Sois bénie

ma fille, par le Dieu tout puissant

plus que toutes les femmes

et béni soit

le Seigneur Dieu du ciel et de la terre.


Lc 1:42

Sois bénie




entre les femmes

et béni soit

Le fruit de ton sein.


   On peut penser, certes, que cette référence n’a été motivée que par une raison littéraire. Mais puisque les évangélistes ont recours aux Écritures pour y puiser le sens messianique de leur récit, il est légitime de croire que leur choix ait une motivation plus profonde, celle d’inscrire le fait de leur récit dans le contexte du texte de référence.
   On doit donc croire que Luc tente d’assimiler Marie au personnage de Judith. Or Ozias implorait la bénédiction de Dieu sur Judith parce qu’elle avait tué l’ennemi du peuple en employant l’arme de la séduction : elle s’était offerte aux amours d’Holopherne en se parant en prostituée. Mais sa prostitution était une ruse, et était ordonnée à sa perte et à la victoire du peuple. Judith pouvait témoigner devant le peuple qu’Holopherne « n’a pas péché avec moi d’un péché de honte et de confusion » (Jdt 13:16). On peut comprendre ces paroles dans le sens qu’ils avaient bien péché, mais que ce péché n’avait jeté sur Judith ni honte ni déshonneur, ou bien que, malgré l’apparente tentative de prostitution, Dieu avait empêché Judith de tomber dans le déshonneur et dans la honte.

   Par cette référence à Judith, Luc a voulu montrer dans le silence, par la signification inhérente à la diachronie de son récit, que si Marie se présentait aux yeux du profane comme une prostituée, elle était vierge, l’apparence de la prostitution n’étant qu’une énigme que Dieu avait jetée sur elle face aux incroyants.    Ainsi l’attention du texte passe-t-elle de l’enfant à sa mère, la personnalité de Marie s’élève à la stature de l’héroïne biblique, qui devient sa préfiguration.
   Les paroles qu’Élisabeth adresse encore à Marie sont très importantes pour cette question : « Heureuse celle qui a cru, parce que toutes les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur auront leur accomplissement ». Étrangement, on passe de la deuxième personne à la troisième. On peut penser qu’un rédacteur a ajouté au texte de Luc, ou que l’auteur lui-même a voulu exprimer l’arrière-plan de sa pensée christologique.
   Quelles sont les paroles que Dieu a dites à Marie ? Sans doute celles que lui a adressées l’ange pour l’inciter à accepter d’être mère par conception virginale. Mais si Marie est heureuse parce qu’elle a cru aux paroles que Dieu lui a prodiguées par la bouche de son ange, qui a été celle ou celui qui aurait été malheureux pour ne pas avoir cru ? On peut penser d’abord aux femmes et aux hommes auxquels la parole de Dieu aurait été adressée par l’ange. On doit alors constater avec étonnement que personne n’y a cru de premier abord : ni Abraham ou Sara, ni la mère ou le père de Samson, ni Jebeon, ni Zacharie dans les évangiles. Marie serait donc la seule personne a avoir cru, en sorte que toutes les autres n’ont pas été heureuses.
   Il faut alors penser que Luc, par ces paroles, a voulu se référer à ceux qui n’ont pas cru que la grossesse de Marie était un « signe », et donc une parole par laquelle Dieu manifestait qu’elle était fécondée par le Saint Esprit. Le malheureux était donc Joseph, qui n’avait pas cru, et donc tous ceux que Matthieu a voulu inclure dans le personnage de Joseph. Malheureux sont donc tous ceux qui ne croient pas que Marie est restée vierge.

   Par un artifice littéraire subtil et savant, Luc parvient donc à répondre à cette incroyance en projetant la croyance de l’Église sur Marie elle-même. Marie n’a pas refusé de s’abandonner à l’ange parce qu’elle a cru en ses paroles. Elle n’a pas été une femme prostituée, mais une femme qui a voulu devenir mère en s’abandonnant à un homme dans lequel elle a vu l’ange de Dieu. Dans cette nouvelle page de sa narration, Luc fait intervenir Élisabeth comme témoin de cette foi. Le fondement réel de l’enchaînement de projection est l’interprétation par les Écritures que la grossesse de Marie vient du Saint Esprit.
   L’événement de la parole est représenté comme un événement historique. Dans ce cas, le phénomène historique est que Marie est une femme qui a cédé à l’amour hors du cadre légitime du mariage. Un phénomène de prostitution a été interprété comme un événement de maternité virginal, sur l’exemple de Judith.



2011




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t742200 : 20/12/2017