ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les poèmes d’amour
de  Dante  Alighieri




Introduction :

la forme



Sommaire
Avertissement au lecteur
Capoversi
Premiers vers

Introduction
- Une œuvre méconnue
- L’esthétique
- La forme
  . La forme parfaite
  . Poésie et expérience
    d’amour
  . Le sonnet introductif
- La traduction

Aux fidèles d’Amour

Les soixante belles de Florence

Béatrice, dame du secret d’Amour

La dame gentille

Béatrice refuse de saluer Dante

De l’amour à la louange

Lamentations sur la maladie de Béatrice

Mort et glorification

La dame gentille

La Pargoletta

Le refus de la dame gentille

La dame-pierre



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La forme doit être parfaite


   Il ne faudrait pas croire que Dante a été tellement pris par l’inspiration qu’il a négligé la forme. Au contraire, en raison de son esthétique plus l’information est haute, plus la forme doit être parfaite : « Nunquam sine strenuitate ingenii et artis assiduitate scientiarumque habitu fieri potest » (De vulgari II,iv,9).
   Il composait des formes en même temps qu’il lisait et étudiait non seulement les poètes de la tradition italienne, des Siciliens à Guinizzelli et aux Toscans, mais aussi les troubadours et les trouvères dans leurs propres langues. De même que, dans la Divine comédie, il s’était mis au troisième rang des poètes, à côté d’Homère et de Virgile (« terzo tra cotanto senno »), de même il avait conscience d’être digne par ses poèmes de figurer aux côtés de Daniel Arnaut ou de Guido Guinizzelli, comme des grands poètes actuels Guido Cavalcanti et Cino da Pistoia.

   Presque à la fin de sa production lyrique, il écrivit en latin un livre à caractère scientifique sur la poésie, le De vulgari eloquentia. Le titre est trompeur, car on pourrait croire que c’est un livre sur l’éloquence, alors qu’il s’agit bien d’un livre de critique sur la lyrique à partir d’une théorie du langage. Son véritable correspondant dans la littérature ancienne est la Poétique d’Aristote, que Dante ne connaissait pas. Ces deux œuvres se complètent car, alors qu’Aristote parle principalement de la poésie épique et de la tragique, Dante ne s’arrête que sur la poésie lyrique du « vulgaire », c’est-à-dire occitane, française et italienne, telle qu’il la pratiquait. Malheureusement l’œuvre est inachevée puisqu’elle devait se composer de quatre livres alors que l’auteur s’est arrêté au deuxième. Pour mieux comprendre sa lyrique, il convient que j’en expose l’argumentation principale.

   J’ai déjà fait allusion à sa définition de la poésie, mais il est nécessaire d’ajouter qu’il a aussi étudié le langage, le style, les formes et le contenu.
   Puisqu’il entend parler de la poésie en langue vulgaire, il ne parle que des langues issues du latin, principalement l’occitan, le français et l’italien : la langue d’oc, la langue d’oïl, la langue du si. Trois langues ? Certes, mais qui, en raison de leur source commune, sont jumelles, s’offrant un peu comme différentes articulations et expressions d’une même langue, surtout en poésie.
   « Totum autem quod in Europe restat ab istis, tertium tenuit ydioma, licet nunc tripharium videatur : nam alii oc, alii oïl, alii sì affirmando locuntur ; ut puta Yspani, Franci et Latini. Signum autem quod ab unoeodemque ydiomate istarum trium gentium progrediantur vulgaria, in promptu est, quia multa per eadem vocabula nominare videntur, ut Deum, celum, amorem, mare, terram, est, vivit, moritur, amat, alia fere omnia » (De Vulgari I,viii,6).
   Cette équivoque entre l’unicité et la diversité des trois langues lui permet de considérer les poètes de chacune comme faisant partie d’une même poésie, la poésie européenne, par opposition aux poésies classiques latine et grecque. Non seulement il met sur la même ligne les poètes occitans, français et italiens, mais il associe ses deux amis Guido Cavalcanti et Cino da Pistoia qui, avec lui, sont les derniers poètes chez lesquels la lyrique parvient au sommet du langage et du style.
   Il considère le style selon les caractères généraux de la matière, attribuant au comique la poésie qui touche aux petites choses de la vie, avec un langage adhérent plus aux sentiments qu’à la forme ; par contre la poésie qui porte sur les plaintes, sur la souffrance, est appelée héliaque, et tragique celle dont la matière est noble, servie par une recherche raffinée de la forme. Mais quel que soit le style, la poésie non vulgaire mais noble, « curiale », c’est-à-dire digne d’être dite à la cour, doit toucher les trois grands thèmes qui élèvent l’esprit humain : l’amour, la vertu, la valeur.
   Quant à la forme, Dante s’arrête au sonnet, à la ballade et à la chanson. Il avait projeté de consacrer au sonnet et à la ballade le livre quatrième de l’œuvre, pour s’étendre sur la chanson dans les deuxième et troisième, car c’est la forme la plus haute, la plus complexe, la plus apte aux variations multiples des trois thèmes. Mais l’œuvre s’arrêtant au livre II, il n’a traité ni du sonnet ni de la ballade, et en partie seulement de la chanson.
   Si ce traité est d’une part la théorie critique de la lyrique courtoise, d’autre part il est aussi le reflet de l’esthétique et de la prosodie qui avaient guidé Dante dans sa production lyrique. On comprend que Dante l’ait écrit à la fin de celle-ci, quand se posait le problème de la dépasser par une poésie qui soit capable de porter l’art sur les trois thèmes de l’amour, de la vertu et de la valeur. On notera que ces poèmes suivent une ligne de progression qui va du style humble propre à la comédie au style noble propre au tragique, en passant par l’élégiaque.
   La forme de base demeure le sonnet, comme étant celui qui, par sa brièveté et son intensité, est le plus adapté à l’intuition simple. Mais on ne peut pas dire que le sonnet corresponde toujours à un style humble, car il y a des sonnets qui se fondent sur une intuition hautement tragique. Dans l’ensemble, on notera que la composition poétique est tourmentée par une dynamique qui conduit le poète du sonnet à la chanson, qui devient de plus en plus raffinée, parfaite, ordonnée et musicale. C’est la chanson qui marque le passage de la basse à la haute poésie, comme l’élégie, les laudes, l’ode, l’allégorie et la philosophie. Mais nous verrons plus précisément ces différents mouvements lyriques en correspondance avec les différents moments de l’expérience amoureuse.



c 1977




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