Les poèmes d’amour
de  Dante  Alighieri

   Dans la poésie de louange, l’amour se sublimait dans le lyrisme. Cette poésie supposait toujours l’existence réelle de Béatrice, mais en la personnifiant dans le rôle de vertu et de charme qu’elle était censée avoir dans l’ordre de l’univers. Entité à la fois concrète et abstraite, immanente et transcendante, réelle et idéale, Béatrice jouait le rôle d’une œuvre d’art, ou plutôt d’une icône, dans la ville.
   Mais le jour arriva où Dante ne la vit plus ; il eut le pressentiment que quelque chose de très grave s’était passé. Il ne pouvait pas ne pas penser à ce qu’il avait dit dans la chanson Donne ch’avete intelletto d’amore : si Dieu la laissait encore parmi les hommes, c’était par grâce. Il fut donc obsédé par la pensée de sa mort et arrêta la poésie de louange pour reprendre le style élégiaque, comme lamento de l’absence de la bien-aimée, crainte du fait qui l’aurait motivée, pressentiment de sa mort et donc de la sienne aussi.

   Les poèmes de cette période supposent que le père de Béatrice est mort et qu’elle tombe malade, en sorte que Dante aussi est pris par la fièvre et délire. Les poèmes suivent l’âme du poète dans l’appréhension et l’expérience de ces événements, ils représentent sa tristia, son agonie comme amant et comme poète d’amour.
   Dans tous ces poèmes, Dante s’adresse aux femmes, celles de la première chanson « qui ont l’intelligence d’amour ». Depuis que Béatrice l’a repoussé, les femmes sont les médiatrices entre elle et lui, de même que Béatrice l’est entre lui et le divin dans l’ordre de la beauté et de la vertu.