ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLes poèmes d’amour
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Les soixante belles de Florence |
Sommaire Avertissement au lecteur Capoversi Premiers vers Introduction Aux fidèles d’Amour Les soixante belles de Florence - Pour une jeune-fille morte - Femme, amour et poésie - Lisette - Fleurette - Violette - La Garisenda - Nella - La gentille dame lumière - Pour la mort d'une jeune-fille Béatrice, dame du secret d’Amour La dame gentille Béatrice refuse de saluer Dante De l’amour à la louange Lamentations sur la maladie de Béatrice Mort et glorification La dame gentille La Pargoletta Le refus de la dame gentille La dame-pierre . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
« Le désir me vint de rappeler le nom de la très-gentille et de l’accompagner de plusieurs autres noms de dames et, en particulier, de celui de cette noble dame : je pris le nom de soixante beautés de ma ville, où ma dame avait été placée par le Très-Haut-Sire et commençais une épître sous forme de servantes, que je ne rapporterai pas ici… » C’est dommage ! Nous aurions connu les plus belles stars de la Florence de ce temps d’après le poète, comme nous en avons le portrait dans les fresques d’Andrea di Bonaiuto dans la chapelle des Espagnols. Des noms de femmes qui s’enchaînent dans une litanie rythmée et rimée, chacun révélant probablement dans un mot-clef la prérogative de beauté propre à sa dame. Le mot « star » n’est pas trop moderne pour être attribué aux femmes de ce temps, puisque pour Dante et ces poètes les femmes étaient des étoiles reflétant la beauté céleste. Nous savons que, parmi ces soixante dames, Béatrice occupait dans le défilé poétique la neuvième place, et que la dame gentille était placée au milieu, à la trentième : Dante nous l’a fait savoir dans le sonnet à Cavalcanti (R.LII). Et les autres stars ? Nous avons heureusement pour beaucoup d’elles des sonnets, des ballades et des chansons qui constituent le recueil des Rime. Nous n’avons regroupé dans ce chapitre que celles qui n’ont eu d’autre histoire que l’instant de leur apparition aux yeux du poète qui a voulu en garder l’image. Celles dont le charme et l’amour ont constitué des événements dans la vie du poète, Béatrice, la dame gentille, la dame-pierre, seront traitées plus loin. Dante aurait-il aimé d’autres femmes que Béatrice ? N’avait-il pas été épris d’elle au point de la considérer comme l’image idéale de la beauté et de la vertu, dont le regard lui faisait baisser les yeux et le rendait muet ? « Si gentille et si honnête apparaît La dame à moi quand elle autrui salue Qu’œil ne peut en soutenir la vue Et toute langue en frémissant se tait » (V.N.XXVI)
Le fait d’être au service d’une dame non seulement n’empêchait pas l’amant de courtiser d’autres femmes, mais en un certain sens l’y obligeait pour rendre honneur à la dame et garder le secret d’amour. Il l’honorait dans la mesure où, dans l’esprit de la courtoisie, la dame ne pouvait pas être jalouse. Sa beauté était si grande qu’elle se reflétait sur les autres femmes, les rendant charmantes, captivantes, aimables, dignes d’être servies. Il pouvait donc se lier à elles comme à des damoiselles qui rehaussaient la beauté de la dame, sans pour autant la faire connaître. De son propre aveu, Dante avait cherché à connaître toutes les beautés de la ville en raison de son lien avec Béatrice.Nous verrons par la suite s’il y est parvenu sans la déshonorer et se rendre vil, pour l’heure il nous est permis de le suivre dans les rues, sur les places, dans les églises ou autres lieux publics, toujours prêt à saisir les autres femmes dans leur « apparition ». En effet, les femmes ne marchent pas, mais elles apparaissent comme des êtres qui, par la beauté de leur visage, leurs mouvements, leurs traits, sont venus du ciel pour accomplir un miracle, le miracle de la beauté. Difficile et pénible était la condition des femmes : on leur reconnaissait le droit d’être aimées, mais pas celui d’aimer, elles étaient objet et non sujet d’amour. Formées dès leur enfance dans ce but, elles étaient toujours sous tutelle, des parents d’abord, puis du mari une fois épouses. La nouvelle poésie était pour elles une invitation à sortir de cette tutelle et à revendiquer le droit d’aimer. Je n’ai pas lu chez Dante qu’il ait lancé aux femmes le message des anciens poètes et théoriciens de l’amour courtois : dans le mariage, il n’y a pas d’amour. En pratique cependant, en invitant les femmes à se sentir capables de devenir dames d’amour hors du mariage il se faisait apôtre de ce message. C’est peut-être en ceci que les fidèles d’Amour peuvent être considérés comme formant une secte hérétique : hérésie dans la mesure où une morale laïque s’opposait à la morale religieuse, se fondant sur une théologie dans laquelle Dieu était amour comme Éros et non seulement comme Caritas. Les femmes avaient-elles compris l’enjeu ? Je ne pense pas, puisque celles qui s’étaient réjouies de devenir des dames d’amour ont ensuite abandonné le trouvère pour avoir un mari selon la tradition. Je fais allusion à Béatrice, à Selvaggia, dame de Cino, à Jeanne, dame de Cavalcanti… Ce qu’elles avaient compris c’est leur droit à l’amour, peu soucieuses en cette matière d’être hérétiques. Nous pouvons affirmer qu’elles ne répondirent pas au message d’amour par la poésie mais par le langage d’amour. Comme si elles ne pouvaient plus supporter d’être enfermées et sous tutelle, elles trouvent l’occasion de sortir et d’entrer en contact avec les poètes. À propos de l’une d’elles – la dame gentille, comme nous le verrons – Dante dit qu’elle le regarde à la fenêtre. Il précise cependant qu’il s’agit de la fenêtre des yeux, par lesquels l’âme regarde le monde. En généralisant cette métaphore, nous pouvons croire que les femmes, obligées selon la morale à tenir toujours les yeux baissés, les ouvrirent, dégageant par leur regard leur passion, leur jeunesse, leur beauté, comme un éclat de lumière. Et c’est à cette lumière que Dante, Guido, Cino, Lapo et d’autres ont cherché à voir pour en tracer des croquis poétiques. Ne nous attendons pas à voir ces femmes comme cela nous aurait été possible s’il s’agissait de poésie romantique ou même de la Renaissance. Nous le savons déjà, Dante a un code, qui lui permet de tracer moins un profil physique qu’un profil esthétique de la femme en interprétant son regard, sa couleur, son attitude de provocation ou de rejet, de langueur ou d’orgueil, comme signes d’une signification de beauté. À première lecture, ses femmes apparaissent comme abstraites, allégoriques, mais s’il est vrai que Dante, à la fin de son itinéraire poétique, les allégorise, il serait faux de les croire allégories dans ses esquisses : elles sont là concrètement, mais comme des apparences, vues comme porteuses d’une beauté qui ne peut être saisie que par l’homme gentil, éduqué à la beauté par Amour. Lisons maintenant ces poèmes de près. Voici Violetta, le visage caché par ses cheveux comme une ombre d’amour, et Lisette qui avance hautaine, consciente de sa séduction, comme un lys dans un champ ; Fleurette, qui reflète dans son sourire les couleurs des fleurs dont est tressée sa guirlande ; et cette jeune-femme qui apparaît entre les deux tours de Bologne, le faisant reculer dans l’oubli des temps par l’éclat de sa jeunesse ; et encore Béatrice, et Jeanne, la dame de Guido, la première comme si c’était Amour lui-même, la seconde comme l’éclat du printemps. Le poète est très habile dans ses pièces, capable de fixer la femme dans l’instant de son apparition par des mots aussi suggestifs que des traits, mais lui, l’homme poète ? Il ne se cache pas. Le poète est en parfait accord avec l’homme : si le premier s’élève, monte en Hélicon pour rencontrer les Muses et rapporter d’elles un visage à donner à la femme perçue, il demeure dans sa passion, victime dans le corps de cet amour qui le met en extase. Il se lamente, il crie, il implore, il se sent mourir au moment même où son esprit touche le sublime du beau. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() th02000 : 07/04/2021 |