ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les poèmes d’amour
de  Dante  Alighieri




De la poésie d’amour à la poésie de louange :

l’intelligence d’amour




Vita nuova XIX

  Donne ch’avete intelleto d’amore,
i’ vo’ con voi de la mia donna dire,
non perch’io creda sua laude finire,
ma ragioar per isfogar la mente.
Io dico che pensando il suo valore,
Amor sì dolce mi si fa sentire,
che s’io allora non perdessi ardire,
farci parlando innamorar la gente.
E io non vo’ parlar sì altamente,
ch’io divenisse per tremenza vile ;
ma tratterò del suo stato gentile
a respetto di lei leggeramente,
donne e donzelle amorose, con vui,
ché non è cosa de parlarme altrui.

  Angelo clama in divino intelletto
e dice : « Sire, nel mondo si vede

maraviglia ne l’atto che procede
d’un’anima che ’nfin qua su rispende ».
Lo cielo, che non have altro difetto
che d’aver lei, al suo segnor la chiede,
e ciascun santo ne grida merzede.
Sola Pietà nostra parte difende,
ché parla Dio, che di madonna intende :
« Diletti miei, or sofferite in pace
che vostra spene sia quanto mi piace
là ’v’ è alcun che perder lei s’attende,
e che dirà ne lo inferno : O mal nati,
io vidi la speranza de’ beati ».

  Madonna è disiata in sommo cielo :
or voi di sua virtù farvi savere.
Dico, qual vuol gentil donna parere
vada con lei, che quando va per via,
gitta nei cor villani Amore un gelo,
per che onne lor pensero agghiaccia e
père ;      
e qual soffrisse di starla a vedere
diverria nobil cosa, o si morria.
E quando trova alcun che degno sia
di veder lei, quei prova sua vertute,
ché li avvien, ciò che li dona, in salute,
e sì l’umilia, ch’ogni offesa oblia.

Acor l’ha Dio per maggior grazia dato
che non pò mal finir chi l’ha parlato.

  Dice di lei Amor : « Cosa mortale

come esser pò si adorna e sì pura ? ».
Poi la reguarda, e fra se stesso giura
che Dio ne ’ntenda di far cosa nova.
Color di perle ha quasi, in forma quale
convene a donna aver, non for misura :
elle è quanto de ben pò far natura ;
per essemplo di lei bieltà si prova.
De li occhi suoi, come ch’ella li mova,
escono spirti d’amore inflammati,
che feron li occhi a qual che allor la guati,

e passan sì che ’l cor ciascun retrova :
voi la vedete Amor pinto nel viso,
là ’ve non pote alcun mirarla fiso.

  Canzone, io so che tu girai parlando
a donne assai, quand’io t’avrò avanzata.
Or t’ammonisco, perch’io t’ho allevata
per figliuola d’Amor giovane e piana,
che là ’ve giugni tu dici pregando:
« Insegnatemi gir, ch’io son mandata
a quella di cui laude so’ adornata ».
E se non vuoli andar sì come vana,
non restare ove sia gente villana :
ingegnati, si puoi, d’esser palese
solo con donne o con omo cortese,
che ti merranno là per via tostana.
Tu troverai Amor con esso lei ;
raccomandami a lui come tu dei.

  Vous qui avez d’Amour l’intelligence,
Femmes, je veux ma dame avec vous dire
Non qu’à combler ma louange j’aspire
Mais pour donner au cœur l’apaisement.
Quand je pense à sa noble vaillance
Amour doucement dans mon cœur expire
Que si toute hardiesse en moi n’expire
Je fais en parlant enamourer les gens.
Je ne veux parler si hautement
Au point de devenir par crainte vil.
Je traiterai de son état gentil
Et de l’égard pour elle, humblement,
Dames et damoiselles, avec vous
Car parler d’elle seul se peut entre vous.

  Ange clame en divine intelligence
« Seigneur, on voit dans le monde une
grande    
Merveille d’âme, dont la vertu flambe
Et la splendeur jusqu’ici haut s’étend.
Le ciel, qui seulement à la carence
De ne pas l’avoir, à ce Dieu la demande
Auquel tout saint la grâce recommande.
Seule Pitié notre parti défend ».
Dieu parle alors, qui ma dame entend :
« Bien aimés, il convient encor souffrir
Que votre espoir reste, pour mon plaisir,
Là où quelqu’un de la perdre s’attend
Et qui dira dans l’enfer : Ô malheureux,
L’espérance j’ai vu des bienheureux ».

  Ma dame est désirée en haut du ciel
Or sa vertu je vous ferai connaître.
Si une dame veut noble apparaître,
Qu’aille avec elle, car par courtoisie
Amour jette en cœur vilain tant de gel
Que toutes ses pensées fait disparaître.

Qui lui résiste en la voyant paraître,
Ou il se meurt, ou il ennoblit sa vie.
Celui qu’il trouve digne et le supplie
De la voir en éprouve vertu,
Car ce qu’elle lui donne est tel salut
Qu’il devient humble et toute offense
oublie.    
Une grâce encore Dieu lui a donnée
Que celui qui lui parle est pardonné.

  Et dit Amour : « Comment chose
mortelle    
Peut être aussi ornée et aussi pure ?
Puis la regarde et en lui-même jure
Que nouvelle beauté or la recouvre.
De perle à la couleur en forme telle
Qu’il convient à la femme, outre mesure.
Autant de biens elle a que fait nature ;
Sur son modèle la beauté s’éprouve.
De ses yeux, aussitôt qu’elle les ouvre,
Sortent esprits enflammés qu’Amour darde
Pour qu’ils blessent aux yeux qui la
regarde,    
Et qu’en passant chacun le cœur retrouve.
Vous verrez Amour peint sur son visage
Là où nul ne la mire sans dommage.

  Chanson, je sais que tu iras parlant
À maintes femmes aussitôt formées.
Je te conseille, t’ayant élevée
Comme fille d’Amour jeune et sereine
Que là où tu iras dises en priant :
« Apprenez-moi, car je suis envoyée
Chez celui dont la louange m’a ornée ».
Si tu ne veux agir comme une vaine
Ne reste pas auprès des gens vilaine,
Mais, si tu peux, à te montrer pourvois
Seul à des femmes et des hommes courtois
Qui te mettront sur une voie certaine.
Tu trouveras qu’Amour est avec elle :
Me recommande à lui car tu es belle.


Sommaire
Avertissement au lecteur
Capoversi
Premiers vers

Introduction

Aux fidèles d’Amour

Les soixante belles de Florence

Béatrice, dame du secret d’Amour

La dame gentille

Béatrice refuse de saluer Dante

De l’amour à la louange
- L’intelligence d’amour
- Entre printemps et
   Amour
- Douceur et amour
- Béatrice et Amour
- Béatrice et les femmes
- Le portrait de Béatrice

Lamentations sur la maladie de Béatrice

Mort et glorification

La dame gentille

La Pargoletta

Le refus de la dame gentille

La dame-pierre



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

   C’est le premier poème de la poésie de louange, et aussi le manifeste du dolce stil nuovo. Dante choisit pour cela la chanson, qui est pour lui la forme la plus noble et parfaite de la poésie, au-dessus du sonnet par l’ampleur de son espace lyrique et de l’articulation du discours, plus grave que la ballade, et aussi plus autonome quant à la musicalité du rythme et de la rime. Il s’était déjà servi de la chanson dans les deux premières périodes de sa relation avec Béatrice, dans Le douloureux amour et dans Je regrette, mais il s’agit là de chansons qui ne s’élèvent pas encore à la dignité de l’hymne, encore élégiaques, ne portant pas sur la louange mais sur une lamentation d’amour.
   Quoique la forme soit la même, l’inspiration et la composition changent, gagnant en finesse, en noblesse et en élévation. Nous trouvons ici une véritable laude, non plus en l’honneur de la Vierge mais d’une nouvelle médiatrice d’amour, un hymne qui chante la beauté et la dignité d’une nouvelle Vénus qui reflète sur son visage l’union de la beauté et de la vertu.

   Cette chanson se compose de cinq stances de quatorze vers chacune. Les rimes se joignent à deux, trois ou quatre, s’alternant en sorte que les vers coulent mélodieusement.

   Dans la première stance, Dante invite les dames à s’unir à lui pour chanter les louanges de Béatrice. On peut penser qu’il s’adresse à ces mêmes dames qui avaient partagé le message de la poésie d’amour, et auxquelles il s’était adressé sur la question qui le séparait de Béatrice, mais il ne s’agit pas maintenant de faire partie d’une cour de jugement mais d’un chœur de chant.
   Mais ces dames peuvent-elles comprendre la portée de cet appel ? Sans doute, si elles ne sont pas restées passives en se laissant entraîner par la passion d’amour mais sont parvenues à avoir « l’intelligence d’amour ». Cela suppose qu’elles aiment après avoir compris ce qu’est Amour, et que leur être, aussi bien leurs regards que leurs formes, leurs accents que leurs actes, s’insère dans le mouvement de perfection et de beauté que Dieu déclenche dans l’univers par l’acte de la création. Mais l’expression suppose aussi que les dames qui doivent chanter avec lui sont celles qui ont l’amour comme intelligence, comme lumière de l’esprit.
   Par cette intelligence, les dames peuvent comprendre l’événement nouveau, la « merveille », qui est apparu en Béatrice. La merveille est en cela qu’elle exprime dans sa personne l’union de la beauté et de la vertu. Elle est médiatrice entre le ciel et la terre, le miroir de beauté à travers lequel Dieu éclaire les hommes et les attire à lui. Une dispute se déclenche entre le ciel et la terre qui demandent à l’avoir, Dieu la laisse sur terre pour montrer la béatitude du ciel à ceux qui sont encore dans le malheur du tiraillement des passions.

   Dante a-t-il pu savoir si la petite-fille d’Amour a pu jouer le rôle qu’il lui avait confié ? Oui, sans doute, et il nous le fait savoir par une scène du purgatoire, lorsqu’il rencontre Bonagiunta, son devancier, le poète qui écrit tous ses poèmes en suivant les poètes courtois. Quand Bongiunta voit Dante, il lui dit : « Mais dis-moi si je vois en toi celui qui a fait sortir la nouvelle rime, en commençant par « vous qui avez d’amour l’intelligence, femmes » ? ».
   Oui, car c’est par cette chanson que Dante avait tracé le clivage entre poésie ancienne et nouvelle, poésie d’amour et poésie du dolce stil, celle qui ouvrira le chemin vers la Divine Comédie.



c 1977




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