ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLes poèmes d’amour
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Béatrice, dame du secret d’Amour :je meurs par celle qui a nom Béatrice |
Attribution douteuse XLIII |
Rime LXVIII |
Sommaire Avertissement au lecteur Capoversi Premiers vers Introduction Aux fidèles d’Amour Les soixante belles de Florence Béatrice, dame du secret d’Amour - Le baiser - L’espérance - Les épreuves - L’expérience de mort - La peur - Je meurs par celle... La dame gentille Béatrice refuse de saluer Dante De l’amour à la louange Lamentations sur la maladie de Béatrice Mort et glorification La dame gentille La Pargoletta Le refus de la dame gentille La dame-pierre . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Nous parvenons au poème auquel j’ai fait allusion comme étant la clef qui nous permet de déjouer le double sens de la Vita nuova et de connaître la véritable relation d’amour entre Dante et Béatrice. Il s’agit d’une plainte que Dante lance contre elle, ce qui suffit pour comprendre pourquoi il ne l’a pas insérée dans son petit livre. Nous l’avons placé ici comme aboutissement de la première période de leur relation, d’une part parce qu’il manifeste la prise de conscience de la fin de l’amour, d’autre part parce qu’il n’y fait aucune allusion à la rupture manifestée par le refus de Béatrice de le saluer. Ce refus fera l’objet d’un autre groupe de poésies, au cinquième chapitre. S’agissant d’une plainte, Dante a besoin d’un espace plus ample que celui du sonnet. C’est la chanson qui s’est offerte comme la forme la plus adaptée, la ballade étant réservée à des arguments moins tristes. La chanson est courte, contrairement à d’autres, elle se compose de trois stances de quatorze vers, plus une finale de huit vers. Notons que chaque stance a deux vers non rimés, peut-être pour exprimer aussi d’un point de vue formel le désaccord qui existe dans le contenu. Comme dans toute chanson, la rime est complexe, les deux rimes alternant celles des trois vers. Mais, si la forme est complexe, le discours est plan et narratif, loin de la forme stylisée et recherchée des dernières chansons. Dante est loin du style de Guido Guinizelli, on dirait qu’il a pris pour modèle les poètes élégiaques latins : simplicité du discours et ce pathos qui sera propre aux passages les plus lyriques de la Divine Comédie, comme ceux sur Francesca da Rimini. Mais, avant d’entrer dans la chanson, je suggère de lire le sonnet Ne vous appercevez-vous d'un qui se meurt Jetons maintenant un regard sur le contenu de la chanson. C’est une plainte que l’amoureux prononce contre son aimée pour son infidélité en amour. Il l’accuse d’ôter la lumière de ses yeux, c’est-à-dire de refuser de le regarder et d’échapper à ses regards. Il révèle le nom de l’accusée, Béatrice, sans toutefois trahir le secret d’amour, puisqu’il y avait plusieurs Béatrice dans la ville de Florence. Il la nomme donc par artifice rhétorique, pour faire comprendre qu’elle se comporte à l’opposé de la signification de son nom, qui signifie en effet béatitude, alors qu’elle ne rend pas son amant heureux, mais au contraire le conduit à la mort. La parole accusatrice est au centre de la plainte : « Je meurs pour celle qui a nom Béatrice ». Mais vers qui se tourne le poète accusateur ? S’il avait vécu un siècle avant, au temps et dans le régime de l’amour courtois, et s’il n’avait pas été un nouveau troubadour mais un classique, il aurait dû prononcer sa plaidoirie devant une cour d’amour, présidée par des femmes. Mais il ne peut s’adresser qu’aux fidèles d’Amour, c’est-à-dire aux poètes de poésie amoureuse et à leurs dames, ainsi qu’aux femmes qui leur font honneur. Ce sont eux qui représentent dans la ville la conscience de la courtoisie en amour. L’accusateur prévoit la défense de l’accusée. Elle refuse de regarder et de se faire regarder non par infidélité en amour, mais en conformité au contrat d’engagement par lequel l’amoureux s’est lié à cette épreuve. Dante fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’une épreuve, mais d’une ruse de sa part pour éteindre l’amour qu’il a pour elle. Elle s’est jouée de lui, mais Amour lui-même a déjoué son intrigue, puisque son amour non seulement ne s’est pas affaibli mais s’est embrasé, de sorte que, n’étant pas aimé, il encourt une maladie qui le mène à la mort. Et il montre les signes de cette maladie d’amour : sa maigreur, son affliction, à un point tel que les autres sont épouvantés. Si elle veut sa mort, il mourra, et elle en aura l’entière responsabilité. Devant ces faits, l’accusée reconnaît avoir agi par ruse et avoir joué avec lui comme avec un enfant, mais elle y a été contrainte parce que cette relation amoureuse est pécheresse. Dante le sait bien : il ne pourra échapper aux conséquences de ce baiser qu’il lui a dérobé dans le sommeil de son enfance. C’est ce baiser qui les a mis sur le chemin de la mort, ils ne peuvent échapper à cette mort que par la mort à l’amour courtois. Il est encore trop tôt pour que Dante comprenne : il est envoûté par la courtoisie, et son esprit est encore en rupture avec l’éthique de la morale religieuse. Pour lui, un des premiers troubadours à avoir introduit la courtoisie dans une ville bourgeoise, seule est valable l’éthique courtoise. Il se refuse à être vil en renonçant à aimer par peur de la mort : tué par sa dame, il ira sans peur devant Dieu pour plaider sa cause contre sa bien-aimée, Dieu étant amour, il saura l’écouter. Et si son péché est si grave qu’il ne lui permette pas d’échapper à la peine éternelle, il ne la craindra pas, car son amour est si fort que son plaisir empêchera qu’il sente la douleur de la peine. Maintenant c’est l’amoureux qui emploie la ruse et se joue d’elle ! Le problème est donc porté devant le tribunal de Dieu, par la Mort. Entre Dante et Béatrice, il n’y a d’autre intermédiaire que la Mort et Dante s’adresse à elle pour qu’elle lui dise si Béatrice ne l’aime plus parce qu’elle en aime un autre : il mourra, mais dans moins de souffrances. Ce poème est la clef de voûte de toute l’œuvre poétique de Dante, non seulement des poésies amoureuses et de la Vita nuova, mais aussi de la Divine Comédie. En effet, de même que dans la Vita Nuova il ne chante pas Béatrice parce qu’elle l’a aimé mais parce qu’elle a refusé son amour, de même dans la Divine Comédie la Béatrice qui le sauve et qui l’accompagne au paradis est celle qui avait renoncé à son amour. Toute l’allégorie de la Divine Comédie repose sur le « non » de Béatrice. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() th03060 : 28/04/2021 |