ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le procès d’excommunication :

le procès



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie

Procès d’excommunication
- Introduction
- Le procès
- L’accusation
- La condamnation
- L’arbitrage du Baptiste
- Résumé

Le délire et le désert
Des événements au texte



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

L’accusation


   De l’acte d’accusation, l’anti-texte n’a gardé qu’une seule affirmation : « Fils d’une prostituée ». Pourquoi cet accent porté sur la naissance illégitime de Jésus et non sur son discours, qui constituait le fait incriminé ? Quel lien sa condition de naissance pouvait-elle avoir avec le scandale suscité par son discours ?

   Je porterai d’abord mon attention sur l’éventuelle culpabilité de Jésus entraînée par ce discours. Jésus s’était présenté comme un prophète, or tout prophète, à son apparition, provoquait de l’étonnement, de la surprise et de l’agacement, puisqu’il osait parler au nom de Dieu(1).
   Jésus devait choquer à plus forte raison, lui qui se posait comme prophète au milieu de gens qui ne croyaient plus au prophétisme ou ne reconnaissaient comme prophète que le Baptiste. Son intervention ne pouvait donc être ressentie que comme une atteinte à Jean, d’autant plus qu’elle annonçait un jugement qui mettait en cause sa prédication et son baptême de repentance. En outre, ce jugement suscitait doute et scandale, car il mettait en question le rôle du peuple juif comme peuple de Dieu. Cette remise en question aussi allait à l’encontre de la prédication de Jean, dont le but était de rétablir le judaïsme et non de le renier. Enfin Jésus tendait à minimiser le baptême de Jean, voire à le ridiculiser, en le mettant en opposition avec un baptême de feu qui seul possédait, à ses dires, une efficacité de purification.

   Cette agressivité à l’encontre de l’assemblée ne suffisait cependant pas, à elle seule, pour qu’on puisse déclarer Jésus coupable sans ambiguïté. Et si vraiment Dieu avait parlé par lui ? Dans la civilisation moderne, athée, cette question ne se pose pas, mais dans la civilisation antique, aussi bien juive que païenne, se poser la question constituait un préalable éthique de justice envers tout homme qui se présentait comme prophète. C’est pourquoi on devait, avant tout jugement, s’enquérir des fondements d’authenticité de son message, en exigeant du prophète des « signes » de crédibilité(2).
   Parmi ces signes, la conformité du message du prophète à la parole des Écritures avait sans doute une grande importance, mais elle n’était pas décisive. D’abord elle demandait des confrontations et des références au sujet desquelles on pouvait se tromper ; ensuite Dieu pouvait, après tout, se révéler d’une façon nouvelle au point de revenir sur sa propre parole, surtout si le peuple n’était pas resté fidèle à ses engagements.
   Par contre, les signes représentés par des « prodiges » possédaient, surtout pour le peuple, une force de persuasion toute spéciale, dans la mesure où ils étaient censés venir de Dieu. La volonté de Dieu demeurant insondable, le prophète ne pouvait jouir d’autorité que s’il prouvait, par la puissance de sa parole, qu’il était accrédité par Dieu lui-même.

   Très vraisemblablement les responsables du peuple, les pharisiens et les sadducéens contre lesquels Jésus s’était lancé, se sont levés aussitôt le discours fini pour lui poser les questions prévues par la procédure. Il s’agissait pour eux de savoir s’ils se trouvaient face à une manifestation de la parole de Dieu ou à un faux prophète. Certes, on peut supposer que dans leur for intérieur les pharisiens et les sadducéens étaient persuadés d’avance de la culpabilité de Jésus, et que leur intervention ne faisait qu’ouvrir le procès, mais leurs questions devaient être posées en bonne et due forme.
   Dans le nouveau testament, nous trouvons des exemples de tels interrogatoires concernant Jean, Jésus et les apôtres. L’interrogation portait sur l’orthodoxie de la doctrine (Mc 2:7), sur les intentions du comportement (Mc 2:18), sur le pouvoir ou l’autorité au nom de laquelle on parle ou accomplit un geste (Mt 21:23 ; Ac 4:7) ; il s’agissait toujours de savoir si le sujet en cause était investi d’un mandat divin, s’il avait ou non l’Esprit de Dieu. On lui enjoignait alors de donner, à la façon de lettres de créance, les « signes » susceptibles d’accréditer sa mission (Mc 8:11) et, d’une façon directe, son origine prophétique. « Qui es-tu ? » (Jn 1:19 ; 8:25) : c’est la question que les pharisiens posaient à Jean et à Jésus, pour connaître le nom de leur personnalité prophétique – comme ils connaissaient leur nom de famille – et donc l’origine et l’essence de leur mission.

   L’affirmation « tu es fils d’une prostituée » se comprend comme la conclusion d’un interrogatoire dont le commencement était « qui es-tu ? ». Le dialogue entre Jésus et les juifs de Jn 8 nous aide, par-delà son allégorie, à reconstruire les questions comme les réponses.
   On peut supposer que Jésus a affirmé avec conviction sa propre mission, en s’appuyant sur l’autorité des prophètes dont il s’était inspiré et dont il avait conscience d’accomplir le message. Pour les enquêteurs cependant, il n’était qu’un bâtard. Sa naissance illégitime jetait sur lui un tel discrédit que les signes qu’il pouvait donner, les références bibliques auxquelles il se rapportait, ne pouvaient avoir aucune prise sur les gens. N’étant pas, en tant que bâtard, une personne morale au sens civil et religieux du terme, Jésus ne pouvait pas non plus être prophète(3). Son discours, une fois mis en relation avec son origine honteuse, ne pouvait constituer qu’un fait scandaleux. Comment Jésus, né dans le péché, pouvait-il annoncer le jugement ou le pardon de Dieu ? Pour annoncer au peuple sa parole, Dieu pouvait-il avoir choisi un bâtard, un étranger à la génération d’Abraham ?
   La prétention même avec laquelle il s’attribuait le titre de prophète devenait un chef d’accusation contre lui : il ne faisait que cacher son visage honteux de pécheur derrière un masque de prophète, il était un menteur, un faux prophète, un homme possédé par le démon.
   Son attitude a dû apparaître comme d’autant plus répugnante que, dans les milieux baptistes, on croyait, selon toute probabilité, que la fin du prophétisme était arrivée. Personne ne pouvait plus prétendre à être appelé prophète ni à jouer au prophète : Jean lui-même s’était refusé à l’être. Les temps n’étaient plus prophétiques mais eschatologiques : on ne devait pas suivre un prophète, de même qu’on ne devait pas chercher à avoir un roi. C’était le temps du jeûne, de l’humiliation, du retour au désert : de l’attente de Dieu. En jouant au prophète, Jésus encourrait la mort, selon l’oracle : « Si quelqu’un prophétise encore, son père et sa mère qui l’ont engendré lui diront : tu ne vivras pas, car tu dis des mensonges au nom de l’Éternel. Et son père et sa mère qui l’ont engendré le transperceront quand il prophétisera » (Za 13:3).
   En même temps qu’elle discréditait sa personne, l’origine bâtarde de Jésus rendait aussi son message tout à fait aberrant. Elle faisait apparaître, de toute évidence, qu’il retournait contre sa génération la condamnation dont il portait la marque sur sa propre personne : il se libérait de sa honte originelle en la rejetant sur tous les fils d’Israël, attitude aussi odieuse que scandaleuse qui, aux yeux du peuple, ne pouvait venir que d’un homme mauvais et ennemi de Dieu.
   Enfin son origine rendait méprisable son attaque contre le baptême de Jean. Venu auprès de Jean dans l’espoir de recevoir gratuitement de Dieu, par le baptême d’eau, la purification de sa tache d’origine, comment osait-il s’élever contre ce baptême pour le vider de son efficacité et de son sens ? Que les fils légitimes d’Israël aient eu des réserves quant à la nécessité de ce baptême était compréhensible, mais qu’un bâtard ait pu le discréditer après en avoir bénéficié était scandaleux et honteux !

   Ces remarques nous permettent de comprendre que les auteurs du document juif n’aient retenu du procès intenté contre Jésus que les paroles « fils d’une prostituée ». Il s’agissait du point de repère qui leur avait permis de porter un jugement objectif sur le discours et le comportement de Jésus : son origine bâtarde était pour eux à la fois la preuve et le signe qu’il était un faux prophète.

   Dans la reconstruction de cet interrogatoire, je me suis fondé sur le champ des possibilités offertes par le document juif. Cette reconstitution peut paraître au lecteur trop hypothétique pour être crédible, d’autant plus que le document juif lui-même est issu d’une analyse. Comme pour le document juif, je fournirai donc à l’appui un passage biblique susceptible de valider cette reconstitution, au moins de façon probable.
   Il s’agit du récit de Mc 6:1-5 concernant le retour de Jésus à Nazareth. Selon ce texte, comme je l’ai déjà souligné, Jésus n’a pas été rejeté par ses concitoyens à cause du contenu de son message, mais parce que, bien que bâtard, il avait osé enseigner comme un rabbi. On constaterait donc le même comportement chez les hommes rassemblés au Jourdain que chez ses propres concitoyens lors de son retour à Nazareth. Mais il y a là, à mon avis, beaucoup plus qu’une simple analogie dans la mesure où, dans Marc, ce retour de Jésus à Nazareth est en liaison directe avec son séjour au Jourdain : c’est la première fois que Jésus revient dans sa patrie, après l’avoir quittée pour se rendre chez Jean. En se présentant à Nazareth comme prophète, Jésus avait donc suscité chez ses concitoyens le même « scandale » qu’il avait provoqué dans l’assemblée des baptisés.
   L’oracle de Zacharie jette aussi un éclairage sur la tentative de saisie de la personne de Jésus par sa « mère » et ses « frères ». Ceux-ci seraient allés chez lui, à Capharnaüm, sinon pour le « transpercer », du moins pour le convaincre, s’il ne voulait l’être, de cesser de jouer au prophète et de revenir à la maison.

______________

(1) Je rappelle les railleries à l’encontre d’Osée (Os 11:7), d’Amos (Am 7:12-15), de Jérémie (Jr 9:1-16 ; 11:18-23 ; 18:18), de Zacharie (Za 13) et de Jésus (Mc 3:21 ; 6:3-6 ; 15:29 ; Lc 4:22-28).   Retour au texte

(2) Les prophètes accompagnaient toujours leurs prophéties d’un « signe » de crédibilité, qui consistait dans la coïncidence de l’accomplissement prophétique avec un fait, dans une action mimétique qui montrait d’avance le schéma de l’événement à venir, ou dans une situation de malheur (famine, sécheresse, défaite) ou de bonheur (victoire, pluie, guérison, etc.) (Is 7:11 ; 8:18 ; 11:12 ; 19:20 ; 37:30 ; 38:5 ; 66:19 ; Jr 5:14 ; 6:1 ; 28:12 ; Éz 4:3 ; 9:4).   Retour au texte

(3) Je rappellerai Dt 23:2, où la loi exclut le bâtard de la communauté, et aussi Mc 6:3.   Retour au texte




1984




Retour à l'accueil La procédure du procès d'excommunication de Jésus Haut de page La condamnation de Jésus par les disciples du Baptiste      écrire au webmestre

u1120000 : 30/04/2018