ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




2- Le contexte historique



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
  - L’expulsion des vendeurs
    du Temple

  - Du désert au désert
  - Des Tabernacles à la
     Dédicace
  - De la Dédicace à la Pâque
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

L’expulsion des vendeurs du Temple


   Selon les évangiles, Jésus a été condamné parce qu’il s’était déclaré Christ et fils de Dieu (Mt 26:63-68). Mais cette affirmation n’a pas d’autre fondement que l’intention des auteurs de le faire reconnaître comme tel. Dans le procès, le délit dont il est accusé est celui de blasphème, que Jésus aurait prononcé contre le Temple. Il aurait lancé le défi de reconstruire le Temple en trois jours, s’il avait été détruit. Cette accusation était liée à une autre, aussi grave, d’avoir cherché à se faire roi. Mais quand et comment ? Du procès nous ne pouvons rien connaître. L’accusation cependant ne pouvait avoir de valeur que si elle était fondée sur des faits. Or le seul fait auquel on puisse la relier est l’expulsion des vendeurs du Temple, fait qui peut être interprété comme l’occupation du Temple en vue de la prise du pouvoir.
   Des exégètes libéraux, comme M. Goguel, réduisent ce fait à la conscience eschatologique que les disciples de Jésus avaient, en entrant avec lui dans la ville. Mais c’est méconnaître que l’expulsion des vendeurs du Temple est l’événe­ment qui accomplit le message prophétique de Jésus, et aussi qu’il est le seul fait susceptible de fonder juridiquement l’accusation qu’il s'était fait roi.
   En effet, Jésus ne chasse pas les marchands pour qu’ils aillent vendre ailleurs, mais pour abolir le culte par le sacrifice des animaux. S’étant placé dans le sillage d’Osée, il s’était approprié les paroles du prophète : « J’aime la miséricorde et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6:6). Jésus avait cherché à ce que le Temple, rabaissé à « une caverne de voleurs » par le sacrifice des animaux, devienne une maison de prière (Mt 21:13 ; Jr 7:11 ; Is 56:7), où l’on offrait à Dieu le sacrifice du cœur et de l’amour. Dès lors, son action visait la purification du Temple de « l’abomination » créée par ce culte, source de lucre, de pouvoir et de prostitution.
   Cependant son action, ayant abouti à une sédition, ne pouvait apparaître, aux yeux des Juifs et surtout des responsables de la Loi, que comme une tentative organisée en vue de la prise du pouvoir. On comprend l’accusation portée contre lui devant Pilate, d’avoir cherché à se faire proclamer roi. Pour ces raisons, il faut supposer que l’occupation du Temple est un fait historique.

   Il demeure cependant que le moment où les évangélistes l’ont située n’est pas exact. Pour les synoptiques ce fut à l’occasion de la dernière Pâque, après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Par contre le quatrième évangile, tout en conservant l’entrée triomphale de Jésus dans la ville à cette occasion (Jn 12:12-19), a déplacé l’expulsion de la dernière Pâque à une première, dont il est le seul à parler (Jn 2:13-22). Mais de même que Jésus n’a pas pu accomplir cet acte lors de la dernière Pâque, car il était en fuite, de même il ne l’a pas pu lors de la toute première puisque, poursuivi pour le délit de profanation du Temple, il aurait été fugitif avant même d’avoir commencé sa mission prophétique. Il faut alors rechercher une autre occasion.
   Pour les synoptiques, Jésus ne s’est rendu à Jérusalem que pour sa dernière Pâque. Selon le quatrième Évangile, il y est allé auparavant, principalement pour la fête des Tabernacles et de la Dédicace (Jn 7:10). Or cette dernière apparaît comme l’occasion la plus favorable.
   La fête de la Dédicace fut instituée par Judas Maccabée, après sa victoire sur Gorgias à Emmaüs : « Voici nos ennemis défaits, allons purifier le sanctuaire et en faire la Dédicace » (1 M 4:36). Et ils instituèrent une fête le 25 Kisleu.

   Cette fête dût pour Jésus correspondre tout à fait au but de son action, qui visait à refonder le Temple comme un lieu de prière, après qu’il ait été purifié de la souillure du sang des animaux et du profit que les sacrificateurs en tiraient, en bref, de ce trafic, qui transformaient la maison de Dieu en « caverne de voleurs ».
   Jean ne fait cependant aucune allusion à l’événement qui avait été pour lui l’objet de la première Pâque. Il montre seulement Jésus qui déambule sous le portique de Salomon, harcelé par les Juifs qui lui demandent s’il est le Christ. Mais il leur fait comprendre qu’ils ne peuvent pas croire, parce qu’ils ne font pas partie des brebis que son Père lui a confiées. Persuadés qu’il se prenait pour Dieu, les Juifs, scandalisés, cherchèrent à le lapider.
   Le troupeau auquel Jésus fait ici allusion, se réfère à des textes d’Isaïe, de Jérémie et d’Ézéchiel, qui faisaient partie du code messianique ; ils ne concernent pas, en réalité, le Christ mais la venue de Dieu auprès des fils d’Israël, pour leur libération et leur rassemble­ment sous sa houlette de berger. Sans doute, l’auteur du quatrième évangile leur donne-t-il un sens messianique, mais il est possible que Jésus lui-même, lors de la Dédicace, se soit inspiré de ces textes pour instruire les gens au sujet de son intervention qui mettait un terme au culte sacrificiel des animaux.
   En effet, il a dû dire que, prophète dans le sillage d’Osée, il était venu annoncer le retour de Dieu dans sa maison, afin d’accomplir la nouvelle alliance. « Sa venue est aussi certaine que celle de l’aurore. Il viendra pour nous comme la pluie, comme la pluie du printemps qui arrose la terre » (Os 6:3). Mais on peut croire qu’il a repris sur le même thème l’oracle d’Isaïe : « Voici le Seigneur, l’Éternel, vient avec puissance... Comme un berger, il paîtra son troupeau, il prendra les agneaux dans ses bras, il les portera dans son sein... » (Is 40:10-11).
   Il est aussi possible qu’il se soit inspiré de l’oracle de Jérémie sur le Temple : « Ne vous livrez pas à des espérances trompeuses, en disant : c’est ici le Temple de l’Éternel, le Temple de l’Éternel » (Jr 7:4). En effet ils pourront toujours avoir cette espérance s’ils réforment leurs voies et leurs œuvres, mais s’ils persistent dans le mal et viennent présenter leur offrande dans un sanctuaire transformé en « caverne de voleurs », le Temple subira le même sort que celui de Silo. Pour éviter la destruction du Temple, il fallait donc le purifier de toutes les « abomina­tions », allusion aux sacrifices, à l’exploitation du culte pour l’argent en vue d’un pouvoir qui reniait celui de Dieu.
   À ce moment-là, les gens se scandalisèrent : abolir le sacrifice ? Mais c’était détruire le Temple, précisément le jour où l’on célébrait sa dédicace. On peut supposer que Jésus a prononcé les paroles sur la destruction du Temple, non par défi (« Je puis détruire le Temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » (Mt 26:61)), mais selon les paroles d’accusation rapportées par le quatrième évangile : (« Détruisez ce temple (dans son organisation et sa fonction sacrificiels) et en trois jours je le relèverai » (Jn 2:19)). En d’autres termes : Abolissez cette abomination qui trans­forme le temple en une « caverne de voleurs », et en trois jours je le rétablirai comme « maison de prière » (Is 56:7).

   Jésus attendit-il que les vendeurs aient quitté les lieux avec leurs bêtes ou que le peuple se soit insurgé pour les chasser et arrêter les sacrificateurs dans leurs sacrifices ? Certes pas ! Par contre il s’aperçut que le peuple allait prendre des pierres pour le lapider (Jn 10:31). Parvint-il à se cacher ou fut-il protégé, mais qui aurait pu arrêter ces gens, pris par une fureur fanatique ? Ne pouvant pas le lapider sur place, ils cherchèrent à le saisir, mais « Jésus échappa à leurs mains » (Jn 10:39) et il s’enfuit au-delà du Jourdain, près du désert.

   Et l’expulsion des vendeurs ? Pour étrange qu’il puisse paraître, ce n’est pas Jésus qui chassa les vendeurs, mais eux-mêmes qui le chassèrent. D’où vient alors cette expulsion qui, dans les textes, couronne comme un exploit l’entrée de Jésus dans le Temple ? Je m’efforcerai de répondre à cette question au neuvième chapitre. Pour l’heure, il convient de chercher à retracer l’itinéraire de Jésus qui va du désert au désert.



juillet 1987




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t611100 : 25/11/2017