ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




2- Le contexte historique



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
  - L’expulsion des vendeurs
    du Temple
  - Du désert au désert
  - Des Tabernacles à la
     Dédicace
  - De la Dédicace à la Pâque
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Du désert au désert


   Jésus espérait que, la purification une fois accomplie, Dieu reviendrait dans le Temple, mais il ne vint pas. Pour le rencontrer, il dût s’enfuir à nouveau dans le désert, « au-delà du Jourdain, dans le lieu où Jean avait d’abord baptisé » (Jn 10:40) et où il fut lui-même baptisé. A-t-il eu la force de puiser dans la source de sa première inspiration, ou a-t-il pris conscience du commencement de sa fin ? Laissons, pour l’heure, le prophète méditer sur les conséquences de son exploit ; quant à nous, nous jetterons un coup d’œil sur sa démarche prophétique afin de comprendre cette issue tragique.

   Bâtard, il était allé au désert en quête d’un Dieu qui pût le reconnaître comme enfant par-delà la génération d’Abraham. Il le trouva à la lecture d’Osée. Dieu avait appelé ce prophète à se marier à une prostituée, Gomer, pour exprimer dans la parabole de son mariage la relation qu’il avait nouée avec la fille d’Israël, « mère d’enfants de prostitution ». L’épouse ne se convertissant pas, le prophète avait appelé les enfants à plaider contre leur mère (Os 1-2).
   Devenu prophète dans le sillage d’Osée, Jésus a annoncé, comme lui, la nouvelle alliance par laquelle Dieu n’aurait pas été un mari-maître mais l’amant de son épouse, et donc le père qui légitimerait ses enfants bâtards. Mais en même temps, il appelait ceux-ci à plaider contre leur mère, afin qu’elle se convertisse à l’amour de son époux. Et il a plaidé pour ses frères contre leur mère à tous les niveaux de la Loi. Il a dénoncé ses traditions étroites et formelles, la pratique matérielle et sectaire de ses préceptes, le conditionnement de la Loi par les privilèges de la race, enfin le pardon des péchés obtenu par des purifications rituelles, le tout soumis à l’exploitation par l’argent en vue du pouvoir. En même temps, son souci se porta sur les pauvres et les malades, les rejetés et les marginaux de la société, les publicains et les prostituées.
   Et le Judaïsme, la mère, se convertit-il à son Évangile ? À la suite de sa prédication dans différentes villes, il avait pu constater qu’aucune d’elles n’avait reçu sa parole et n’avait cru, ni Chorazaïm, ni Bethsaïda, ni Nazareth, ni même Capharnaüm (Mt 11:20-24). Quant aux pharisiens, aux scribes et aux chefs du Judaïsme, ils le rejetèrent, le considérant comme un fils de prostitution, un homme possédé par les démons, ainsi qu’un faux prophète qui égarait le peuple et transgressait la Loi. Bref, un prophète ami des pécheurs et des prostituées ! Harcelé par des accusations et des disputes captieuses, contesté et berné dans les synagogues et le Temple, il en a été chassé comme un homme maudit. Mais, aussi dialecticien que ses accusateurs, il ne reculait jamais et ne mâchait pas ses mots. Sa parole, toujours sensée, demeurait tranchante comme une épée.

   Jésus n’avait pas pu cependant échapper aisément à la demande des Juifs de leur donner un signe de son prophétisme : « Nous voulons un signe qui vient du ciel », non une guérison, ou un exorcisme, mais un prodige, comme ceux qu’avaient donné Moïse ou Élie, miracles qui ne peuvent être expliqués que par l’intervention divine. Il évita de tomber dans ce piège d’inquisiteurs.
   Une première fois, il refusa de donner un signe quelconque par des paroles hautaines et méprisantes : « Je le dis en vérité, il ne sera pas donné des signes à cette génération » (Mc 8:12).
   Une autre fois, ce furent les pharisiens qui lui firent la même requête : « Maître, nous voudrions te voir faire un miracle. » Il leur répondit : « une génération méchante et adultère demande un miracle, il ne lui sera donné d’autre miracle que celui du prophète Jonas » (Mt 12:38-39). Réponse aussi mystérieuse que significative. Les évangiles ont transformé ces paroles en un logion : Jésus aurait promis de donner le signe par le miracle de sa mort et de sa résurrection, qu’il aurait vues en Jonas, comme symbole prophétique. Mais si ce sens est mis entre parenthèses, ces paroles relatent le propos de Jésus d’interrompre la prédication de l’Évangile aux Juifs, pour se rendre auprès des Gentils.

   Ce propos est avant tout le signe du malaise issu d’une profonde crise spirituelle. Le prophétisme a toujours été traversé par la dialectique entre justice et miséricorde, qui le plaçait en situation de souffrance. Pour ne parler que d’Osée, ce prophète devait annoncer une alliance d’amour à la nation juive, que Dieu considérait comme une épouse « adultère ». Et puisqu’elle ne se convertissait pas à cet amour, le prophète lui annonçait la punition par son époux (Os 2:4). Mais, bien que proportionnée à ce crime, cette punition rendait sans effet la parole de l’alliance, et suscitait de la part de Dieu un sursaut de miséricorde, qui vidait le jugement de justice.
   Ce surplus de sens marqua, comme je l’ai dit dans l’introduction, le passage de la foi prophétique à la foi christique. Mais chez les prophètes elle suscitait une immense souffrance et des crises profondes. De ces crises prophétiques, la plus frappante est celle de Jonas.
   Envoyé par Dieu annoncer sa punition contre Ninive, le prophète se déroba, prévoyant que ses paroles de malédiction ne seraient pas suivies effectivement par la peine. Et il s’en alla ailleurs, à Tarsis, en bateau. Mais, jeté à la mer par les mariniers comme objet de maléfice, il fut englouti par un poisson. Quand il fut rejeté par celui-ci, Dieu l’envoya une nouvelle fois à Ninive, qui se convertit à sa parole. Jonas n’avait pas tort de se méfier des menaces de son Dieu !
   Mais pour Jésus quel a été le signe ? Fut-ce d’avoir été englouti par le poisson ? Ou d’être sorti du ventre du poisson en homme ressuscité ? La conversion de Ninive ? Il est probable que, la première fois, Jésus n’avait pas manifesté la volonté de donner un signe prophétique, mais d’interrompre l’annonce de l’Évangile à « cette prostituée, la fille d’Israël », qui se refusait à l’écouter.
   Il était excédé d’annoncer l’Évangile à celle qui ne voulait pas croire, ou de lui annoncer au nom de Dieu une punition que celui-ci ne voulait pas donner. Il voulait simplement aller ailleurs, comme Jonas, surtout hors du guêpier du Judaïsme. Aux Juifs qui lui demandaient de donner un signe, il n’offre que son refus de leur annoncer l’Évangile, afin qu’ils demeurent dans leur péché (Jn 8:24). Il n’évangélisera que les Gentils, si Dieu le lui ordonne, ou seulement les Juifs de la diaspora. Quant aux Juifs de la nation, il lance l’anathème : « Les hommes de Ninive se lèveront au jour du jugement avec cette génération et la condamneront parce qu’ils se repentirent à la prédication de Jonas » (Mt 12:42).

   Jésus eût l’occasion de s’expliquer à ce propos avec les pharisiens lors de la fête des Tabernacles. En opposant l’Évangile à la Loi (Jn 8:12-21), il leur annonce qu’il doit quitter le pays, pour prêcher son évangile au monde. « Les principaux sacrificateurs et les pharisiens envoyèrent des huissiers pour le saisir ». Jésus leur dit : « Je suis encore avec vous un peu de temps, puis je m’en vais vers celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas et vous ne pouvez pas venir où je serai » (Jn 7:33-35). « Vers celui qui m’a envoyé », lui fait dire l'évangéliste, donnant à son « départ » le sens de sa mort. Mais sans doute le « prophète Jésus » avait-il voulu laisser entendre qu’il se rendrait chez les Gentils. Ainsi le comprirent d’ailleurs les Juifs, qui disaient entre eux : « Où ira-t-il pour que nous ne le trouvions pas ? Ira-t-il parmi ceux qui sont dispersés, chez les Grecs et enseignera-t-il les Grecs ? » (Jn 7:35-36).



juillet 1987




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t611200 : 25/11/2017