Le fait sous les apories et la censure des récits :
La fuite honteuse
Cette interprétation du texte de
Luc apparaîtra, peut-être, excessive à travers ce scénario dramatique. Cependant un regard critique sur ce récit, le libérant de ses apories, met en évidence par ce scénario l’information qui a été refoulée.
Bien que
Jésus n’ait pas eu l’initiative de la résistance armée, il en assume la responsabilité. Il la tolère pour souligner qu’il aurait pu s’enfuir mais qu’il ne l’a pas voulu. La lutte armée doit affirmer son pouvoir christique. Il ne prononce pas les paroles de véhémence prophétique rapportées par
Matthieu contre l’usage de l’épée. Son silence souligne ici la satisfaction d’avoir démontré sa force. Que le sang coule parce que l’épée d’un de ses
disciples a tranché l’oreille d’un homme, ne lui cause aucun souci, puisqu’il suffira de la toucher de son doigt pour que, miraculeusement, elle reprenne sa place.
Croire en ce miracle suscite l’étonnement, le doute, laisse pantois. Ce geste de prestidigitation parvient à détourner l’attention de la réalité dramatique, convertissant la honte en complaisance, la mise à l’épreuve d’une conviction de foi en une démonstration de puissance magique.
Chez
Jean le «
Christ-Jésus » n’a pas besoin de recourir à ces facéties. Il se livre lui-même aux opposants en homme souverain, lucide, et sans l’ombre d’une turpitude. Celle-ci rejaillit sur
Pierre, qui blesse d’un coup d’épée le serviteur du
pontife, à l’instant même où
Jésus l’arrache à l’épée des assaillants (
Jn 18:10-11).
Ensevelie dans les textes, la honte de
Jésus n’a pas retenu la mémoire des croyants, mais elle avait frappé celle des
Juifs. Rappelons l’affirmation de
Celse selon laquelle
Jésus, au moment de sa capture, «
se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse » (Origène,
Contre Celse, 11,9).
Origène s’en étonne et s’exclame «
Que l’on dise comment Jésus s’est caché et a fui dans la manière la plus honteuse » (Origène,
Contre Celse, 10).
Les théologiens d’aujourd’hui crient au scandale qu’on puisse se référer à
Celse, qu’ils accusent de méconnaissance des faits, de mensonge et de parti-pris. Ils ignorent eux-mêmes que
Celse ne dit de
Jésus que ce qu’il a entendu dans les milieux juifs. N’a-t-il pas cherché avec soin et honnêteté à les connaître, ainsi que plusieurs Églises de différentes confessions ? Reconnaissant dans les évangiles des documents d’histoire, les théologiens dénient toute valeur à cette tradition juive, qui seule a conservé des informations originaires sur
Jésus. Ils ignorent en outre que ces informations, issues du judaïsme, se trouvent en bonne partie refoulées dans les évangiles eux-mêmes !
Remontant à la tradition populaire du Judaïsme qui, par surcroît, se trouve confirmée par les informations sous-jacentes aux évangiles, l’affirmation de
Celse a valeur de témoignage historique. Certes, il convient d’être critiques envers celui-ci. En effet,
Celse ignorait les raisons sociologiques et existentielles de la fuite de
Jésus, et qu’à l’instant de sa capture
Jésus, qui pouvait s’échapper, s’est livré lui-même. Il ne pouvait savoir, ni par les
Juifs ni, moins encore, par les chrétiens, qu’en se livrant,
Jésus s’était délivré de la honte dont les
Juifs l’accusaient.
Il est donc nécessaire de retracer les fuites qui ont traversé l’existence de
Jésus, comme des torrents ravageurs une terre cultivée.