ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisJudas |
I- Regard critique sur les évangiles |
8- La troisième rencontre de Judas avec les sacrificateurs |
PROLOGUE INTRODUCTION REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES - L’annonce de la trahison - Le contexte historique - Les fêtes de la Pâque - Gethsémani - Le récit de la trahison - La trahison simulée - L’arrestation de Jésus - Troisième rencontre - Sens exégétique - Apories du récit - Recherche de la référence - Reconstitution de la rencontre - Pierre et Judas - Jésus, entre prophétie et politique - La mort de Judas DU JUDAS DE L’HISTOIRE AU JUDAS DES RÉCITS ÉPILOGUE ANNEXES . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
À la recherche de la référenceLe geste par lequel Judas a mis fin à sa rencontre avec les grands-prêtres n’autorise pas à reconnaître le traître repentant, en quête de pardon du texte de Matthieu. L’analyse réalisée jusqu’ici laisse plutôt apercevoir en Judas le « compagnon de Jésus », l’homme dévoué à son message et à sa défense. Cela serait sans doute suffisant pour tenter de reconstituer cette rencontre. Mais puisque ce geste de Judas est repris par Matthieu en des interprétations successives, il convient de relever ces couches de discours, pour y entrevoir le déroulement du fait. Après le paragraphe concernant le geste de Judas suivi de sa mort, Matthieu poursuit : « Les principaux sacrificateurs les ramassèrent et dirent : il n’est pas permis de les mettre dans le trésor sacré (cobanas), puisque c’est le prix du sang. Et, après en avoir délibéré, ils achetèrent avec cet argent le champ du potier, pour la sépulture des étrangers. C’est pourquoi le champ a été appelé champ du sang, jusqu’à aujourd’hui » (Mt 27:6-8). Cette chronique, qui semble mettre fin à la trahison de Judas, est cependant symbolisée par le cimetière pour les étrangers. Le « prix du sang » est associé au « champ du sang ». Mais ce n’est pas tout, car l'évangéliste a éprouvé la nécessité de donner à cet épisode relatif au Christ, une correspondance avec les Écritures. L’évangéliste a donc ajouté : « Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète : Ils ont pris les trente pièces d’argent, la valeur de celui qui a été estimé, qu’on a estimé de la part des enfants d’Israël, ils les ont données pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné » (Mt 27:9-10). L'évangéliste se réfère à Zacharie (et non à Jérémie), qu’il cite en l’abrégeant (Za 11:4-14). Ayant décidé de juger les chefs d’Israël (les cèdres), Dieu ordonne au prophète de paître les brebis destinées à la boucherie. Le prophète se met à l’œuvre muni de deux houlettes, dont l’une signifiait la grâce et l’autre l’union. Le prophète tue trois bergers, tandis que les brebis s’entre-dévorent, il brise successivement les deux houlettes. Le travail achevé, il réclame au peuple son salaire, et il reçoit pour prix de son travail trente sicles d’argent. Le Seigneur dit à son prophète : « Jette-les au potier ! » « Et j’ai pris, dit le prophète, les trente sicles d’argent et les ai jetés dans la maison de l’Éternel » (Za 11:13). Cette parole de Dieu à son prophète est une parabole, ou un jeu exprimant la dévastation que le jugement de Dieu opère parmi les hommes au Pouvoir. Le prophète revêt le personnage de Dieu, et le salaire exigé est le prix auquel le peuple estime l’action de Dieu : trente sicles d’argent. Ceux-ci représentent également la valeur du peuple au regard de Dieu. C’est pourquoi, Dieu ordonne au prophète de les jeter « au potier » (joser en hébreux, Koneutherionen – fondeur – en grec, statuarium – potier – en latin). Le prophète jette donc l’argent dans la maison de Dieu, qui devient la forge dans laquelle Dieu, le « potier », remodèle à nouveau l’homme, retourné à l’état de glaise. Cette parabole prophétique, Matthieu en donne une interprétation « chosifiante », anecdotique et étriquée. Le jugement de Dieu sur les responsables du peuple, l’argent symbole de la valeur que le peuple attribue à Dieu, le Temple enfin, forge de la nouvelle création de l’homme, sont réduits à la banalité de l’acquisition d’un terrain argileux grâce à l’argent de la trahison. Le comportement des sacrificateurs à l’égard de cet argent est la manière la moins déshonorante de l’utiliser. Et cependant les trente sicles d’argent, interprétés par le biais des Écritures, avaient une signification christologique, et le passage de Zacharie relevait du code messianique. Pourquoi une telle banalisation ? Avant d’en déceler les raisons, existe-t-il une analogie entre les trente sicles d’argent de « la trahison » et ceux du récit biblique ? Dans le récit biblique les « trente sicles d’argent » reçoivent leur signification au moment où ils sont donnés par le peuple au prophète et où ce dernier les « jette » dans le Temple. Mais dans l’interprétation christologique il y a une distorsion de sens, car les trente sicles trouvent sens au moment où ils tombent aux mains des sacrificateurs, qui s’accordent à les destiner à l’achat d’un champ. Or Judas se trouve en correspondance véritable avec le texte biblique. Il reçoit les sicles des anciens du peuple pour le prix dont Jésus est estimé par les sacrificateurs, de même que Zacharie les avait reçus pour la valeur de Dieu, selon l’estimation du peuple. De même, l’action de Jésus est analogue à celle exercée par le prophète, mais elle l’est par la médiation de Jésus et non des sacrificateurs. Jésus a agi sur les responsables du peuple comme un berger qui paît des brebis destinées à la boucherie. Telle avait bien été la conviction de Jésus au sujet de sa mission prophétique. En effet, il a annoncé son Évangile à des « enfants bâtards », et à un judaïsme adultère et méchant, destiné à être déshérité par Dieu, lors de son retour dans sa maison. Quand Jésus eut accompli sa mission de berger, le peuple donna ce salaire à Judas pour s’emparer de Jésus et le mettre à mort. Le prix reçu, Judas l’a « jeté » dans le Temple, comme le fit Zacharie, pour la recréation du peuple. L’analogie entre Zacharie et Judas est telle, qu’il est permis de supposer légitimement qu’elle a constitué le thème d’une page d’évangile, dans une des sectes de l’Église naissante. Matthieu a pu écrire sans crainte d’erreur : « Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie (Zacharie), le prophète » (Mt 27:9), parce qu’il le lisait dans cet évangile. L’emploi qu’il fait de ce texte en prouve l’existence. Il s’en est servi en le censurant profondément, jusqu’à en aliéner le sens car, selon la tradition de son Église, Judas n’était pas un véritable apôtre mais le traître, l’homme que Jésus lui-même avait maudit. Mais alors qui, dans le christianisme naissant, a pu écrire une page christologique où Judas est mis en parallèle avec Zacharie jusqu’à en accomplir la parabole ? Peut-être peut-on penser à une secte constituée par des Samaritains, qui voyait en Jésus le Christ rétablissant la « maison de Dieu », capable de rassembler tous les Juifs comme des frères. Peut-être, parmi ces croyants samaritains, y avait-il ceux qui avaient suivi Jésus lors de la purification du Temple, et à cause desquels Jésus avait été accusé d’être un Samaritain (Jn 8:48). Pour cette Église-là, Judas n’était pas un traître, mais le « compagnon », auquel Jésus avait confié la tâche d’organiser pratiquement le « rétablissement de toute chose », dans sa pureté d’origine. Nous avons donc examiné le troisième texte de Matthieu à propos de Judas qui comprend deux parties : la première, sur sa visite aux grand-prêtres ; la seconde, sur une interprétation de celle-ci sous l’éclairage d’un texte de Zacharie. L’analyse de ces deux parties du récit a mis en évidence les apories qu’elles contiennent et qui en aliènent le sens. La cohérence du récit ne s’impose qu’en supposant ces apories, ce qui permet de découvrir le texte d’information dont les deux parties du récit de Matthieu sont une interprétation censurée. Dans ce texte d’information, Judas n’est pas le traître de Jésus. Le fait que le récit de Matthieu ne se laisse comprendre que par ce texte est la preuve de son existence. Dès lors, étant le plus ancien et utilisé par Matthieu comme documentation, ce texte servira de base à la reconstitution de la rencontre entre Judas et les grands-prêtres, du moins dans sa thématique. |
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t617300 : 05/12/2017