Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
- Introduction
- Tableau des textes
- Cohérence du discours
- Doutes sur l’attribution
. Appel à la repentance
. Préceptes moraux
. Confession messianique
- Attribution à Jésus
- Les logia du discours
- Vérification
- Résumé
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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L’appel à la repentance et le jugement de Dieu
Chez Matthieu, cet appel à la repentance et le jugement de Dieu s’inscrivent dans le cadre d’une diatribe contre les pharisiens et les sadducéens. Cette diatribe est violente et remet en question aussi bien la mentalité de ces hommes que leurs intentions. Or ce discours d’accusation est tout à fait contradictoire avec le but du message.
D’abord, on ne voit pas pourquoi les destinataires de l’exhortation à la repentance seraient des représentants de ces deux sectes du judaïsme et non l’ensemble du peuple. Cette exhortation s’adresse en effet à tous ceux qui étaient appelés au baptême, or si on peut suspecter de mauvaises intentions chez les pharisiens et les sadducéens, pourquoi pas aussi chez les autres, soldats, publicains ou prêtres ?
On peut objecter que Jean s’acharnait contre les pharisiens et les sadducéens parce qu’il était en conflit idéologique avec leurs sectes, qu’ils ne seraient venus que comme des espions, dans le but de trouver des chefs d’accusation contre lui(1). Mais cette hypothèse est fausse, puisque selon le récit ils étaient venus pour « se faire baptiser » (Mt 3:7). Ils étaient aussi fort nombreux, cette dernière remarque montrant que le message de Jean leur demeurait ouvert et que les éventuels conflits qui les opposaient à lui ne traversaient pas le baptême. L’incohérence de la diatribe demeure donc.
Elle a d’ailleurs été si évidente que Luc a senti la nécessité de retoucher le texte de Marc, en remplaçant « les pharisiens et les sadducéens » par « la foule » (Lc 3:7) ou « tout le peuple » (Lc 3:21). Mais ce changement, loin d’effacer l’aporie, l’accentue car Jean non seulement n’aurait pas accueilli les repentants avec bienveillance, mais se serait élevé contre eux en les soupçonnant de mauvaise foi, alors qu’ils n’étaient venus là que par esprit de contrition, frappés par son message.
Mais ce qui rend absurde cette diatribe dans la bouche de Jean, c’est qu’elle jette le discrédit sur le baptême lui-même, car elle l’entache du soupçon de servir d’alibi. Homme vraiment étrange que ce prophète : il lance un appel à tout le peuple pour qu’il vienne se faire baptiser mais, une fois celui-ci venu, il lui reproche de chercher dans ce baptême un alibi pour échapper au jugement de Dieu !
L’opposition établie par Jean entre les fruits dignes de repentance et l’espoir du salut fondé sur les promesses de Dieu à Abraham ( Mt 3:8-9 ; Lc 3:8) semble, elle aussi, douteuse. Si le peuple avait eu l’intention de se réclamer des privilèges inhérents à la race d’Abraham, il ne serait pas venu se faire baptiser, le culte et les ablutions rituelles de purification lui auraient suffi.
On remarquera en outre que l’invective va au-delà des limites d’une mise en garde, pour devenir une remise en question du droit même, pour le judaïsme historique, à l’héritage des promesses abrahamiques. En effet, le discours annonce la colère de Dieu par l’image d’une cognée portée contre la racine des arbres (Mt 3:10 ; Lc 3:9), autrement dit les fils d’Abraham, parce qu’ils prétendent hériter par droit de naissance de promesses que Dieu n’accorde qu’en récompense de la justice des œuvres. Il s’ensuit qu’être fils d’Abraham par légitimité généalogique n’a plus aucune importance, Dieu pouvant lui susciter d’autres enfants par une action créatrice. Ainsi le judaïsme historique est-il dépassé, chaque homme pouvant devenir fils d’Abraham par « les œuvres dignes de repentance » (Mt 3:8 : Lc 3:8).
Or une telle affirmation ne pouvait apparaître que blasphématoire, et elle aurait suffi, non seulement à éloigner le peuple, mais à faire traduire en justice le prophète. Pour avoir soutenu une thèse semblable Jésus, chez Luc, dut subir la colère du peuple qui, scandalisé, tenta de le tuer en le jetant d’un rocher (Lc 4:28). Cette thèse était d’ailleurs en totale contradiction avec les perspectives du Baptiste qui, loin de renier le judaïsme historique, cherchait – selon le témoignage de Josèphe – à lui donner un nouveau souffle, dans le cadre d’une pratique morale ou d’une restauration par un retour à l’esprit primitif du désert(2).
Cette thèse ne peut venir que de l’Église elle-même, qui aurait mis dans la bouche de Jean l’anticipation du rejet du judaïsme qu’elle avait elle-même consommé, ou d’une personne en rupture avec le judaïsme et Jean lui-même.
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(1) Jn 1:19-27. 
(2) « Ce bain, disait-il, vous conciliera la faveur divine, si vous le recevez non pas en vue de la rémission de certaines fautes, mais pour la pureté du corps, après que vous aurez purifié votre âme au préalable par les œuvres de la justice » (F. Josèphe, Ant. Juiv., XVIII, 116-119). 
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