Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
- Introduction
- Jean Baptiste et Élie
. Introduction
. Synopse
. Sens des récits
. Interprétation historique
- Jésus et Malachie
- Jésus, le messager
- Jésus et Élie
- Opinions contemporaines
- Résumé
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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L’interprétation historique des textes de Marc et Matthieu
Ces deux thèses correspondent à deux phases successives de l’interprétation théologique par l’Église du retour d’Élie, en relation avec le messianisme de Jésus.
La première de ces interprétations (Mc 9:11-13) s’inscrit dans le cadre d’une controverse entre chrétiens et juifs, ces derniers niant le messianisme de Jésus en se fondant sur le retour d’Élie. Leur argumentation peut être reconstruite ainsi : si Jésus était le Christ, on aurait dû assister, selon l’oracle de Malachie, au retour d’Élie(1) : celui-ci n’étant pas revenu, Jésus n’est pas le Christ.
L’Église a dû répondre d’une part en niant le fondement biblique de cette croyance, pour ne l’attribuer qu’à l’exégèse des scribes (Mc 9:11), d’autre part en la contestant à partir des textes des Écritures concernant la venue du Christ. En effet, selon ces textes, le Christ, en venant dans le monde, doit souffrir(2). Si sa venue devait être précédée du retour d’Élie, cette souffrance ne serait pas possible, puisqu’Élie aurait rétabli toutes choses. L’absence de retour d’Élie ne constitue pas un obstacle pour croire au messianisme de Jésus, puisque ce prophète ne doit revenir qu’après la venue du Christ.
La seconde interprétation (Mt 17:10-13) correspond à une phase ultérieure de la controverse. On peut supposer que les juifs ont contre-attaqué en soutenant que Jésus lui-même avait partagé cette croyance, au point de se mettre dans le sillage d’Élie et d’attendre qu’il se manifeste. Ils le prouvaient en s’appuyant sur le premier discours de Jésus et aussi, probablement, sur ses affirmations concernant le baptême de feu dont il espérait être baptisé, à l’exemple d’Élie(3).
À cela l’Église a dû répondre en reconnaissant cette fois le fondement de la croyance, mais en affirmant dès lors qu’Élie était venu en la personne de Jean-Baptiste. Mais, pour ce faire, le discours de Jésus qui avait été passé sous silence fut attribué à Jean, faisant jouer à celui-ci le rôle du « messager » et de l’Élie de Malachie. Libéré de sa propre personnalité prophétique, Jésus était ainsi rendu disponible pour assumer la personne du Christ.
Le quatrième évangile montre un retour à la position de Marc, car Jean-Baptiste y confesse lui-même qu’il n’est pas Élie ( Jn 1:21-25). La croyance que la venue du Christ devait être précédée par celle d’Élie tombe. Jésus témoigne lui-même qu’il est le Christ, par le baptême d’Esprit (Jn 1:26-33).
Ces deux interprétations de l’Église supposent l’existence sous-jacente d’un logion de Jésus. Pour retrouver l’expression originelle de ce logion, il convient d’ôter les interprétations christologiques qui lui ont été superposées. On peut penser que les disciples, frappés par l’intérêt que portaient « les scribes » au retour d’Élie comme signe de la venue du Christ, ont effectivement interrogé Jésus. Celui-ci, toujours en polémique avec le judaïsme, a mis l’accent sur ce fait : les scribes se préoccupaient beaucoup du retour d’Élie mais, lorsque celui-ci était venu, ils l’avaient « traité comme ils l’ont voulu, comme il est écrit de lui » (Mc 9:13).
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(1) On trouve un écho de cette controverse chez Justin : Tryphon, protagoniste juif du dialogue, affirme : « Mais le Christ, à supposer qu’il soit né et qu’il existe quelque part, est un inconnu ; il ne se connaît même pas lui-même ; il n’a aucune puissance tant qu’Élie ne sera pas venu l’oindre et le manifester à tous. Mais vous, c’est un vain on-dit que vous avez accepté : vous vous êtes façonnés vous-mêmes un Christ, et c’est pour lui que vous vous perdez maintenant étourdiment » (Justin, Dial 8). 
(2) Dans les paroles où Jésus, selon les évangélistes, annonce ses souffrances, on trouve l’expression « il fallait » (dei) (Mc 8:31 ; Mt 16:21 ; Lc 9:22 ; 24:7; 26; 44). Sans doute les évangélistes veulent-ils montrer que Jésus, en souffrant et en mourant, avait conscience d’accomplir ce qui avait été dit du Christ des Écritures. Mais cela prouve seulement qu’ils avaient interprété les souffrances de Jésus selon le code messianique tiré des Écritures, et non que Jésus avait une telle conscience. Quant aux passages des Écritures concernant les souffrances du Christ, c’étaient ceux qui relataient les souffrances des personnages bibliques pris comme images du Christ : Élie, Jérémie (Jr 11:8-11 ; 15:10 ; 18:10-19 ; 20:8-10), et surtout celles du serviteur de l’Éternel (Is 50:4-11 ; 52:13-15 ; 53:1-12). 
(3) Sur la conception juive du retour d’Élie avant la venue du Christ, voir M. M. Feierstein, « Why do the scribes say that Elija must come forth ? », in Journal of bible. Litterature (100), 1981, pp. 75-86. L’auteur pense que l’opinion – courante aujourd’hui – selon laquelle les juifs du premier siècle croyaient que le retour d’Élie devait précéder la venue du Christ, n’est pas exacte. Le regard qu’il porte sur quelques documents conduirait à une révision de cette opinion, d’autant plus que les documents en question ont été influencés par l’Église.
Mon analyse montre cependant que l’Église n’avait pas d’opinion définie sur l’argument et qu’elle a changé d’avis en réponse aux conceptions juives. 
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