ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Sur les bords du Jourdain
(
Mc 1:
1-13
)
Le profil de Jésus, le nouvel Élie :
Jésus, à l’image d’Élie
Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth
au Jourdain
La crise
spirituelle
La pratique
du baptême
Recherche
sur le discours
Le
corpus
du discours
Analyse
du discours
Genèse
du discours
Jésus, le nouvel Élie
-
Introduction
-
Jean Baptiste
et Élie
-
Jésus
et Malachie
-
Jésus
, le messager
-
Jésus et Élie
.
Introduction
.
Quelques
parallèles
.
Les deux
portraits
.
Schéma
des références
-
Opinions
contemporaines
-
Résumé
Procès
d’excommunication
Le délire
et le désert
Des événements
au texte
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Reprenons
l’hypothèse
par laquelle j’ai commencé ce chapitre. On constate que
Matthieu
et
Luc
ont considéré
Jean-Baptiste comme le nouvel
Élie
, au point de
l’habiller de la même façon que
lui et de
le faire demeurer, comme
lui, dans le désert. Puisque
les évangélistes attribuent au
Baptiste un discours qui,
à l’analyse
, est de
Jésus, il est légitime de supposer
qu’ils ont donné à
Jean cette image parce que, comme le discours, elle appartenait à
Jésus. D’ailleurs,
pouvaient-ils mettre dans sa bouche un discours, sans chercher à dessiner sa personnalité de façon cohérente avec le style et le contenu de celui-ci ? Dès lors on peut poser l’hypothèse que
Jésus, non seulement a prononcé un discours selon l’esprit
d’Élie, mais s’est aussi façonné à son image.
On peut objecter que
Jésus ne pouvait être habillé comme
Élie
(une peau de mouton sur les épaules et les reins couverts d’un pagne),
puisqu’il avait coutume de vivre dans les villes et était souvent invité à des banquets de riches : on voit mal dans ces banquets la présence d’un homme habillé comme un sauvage, fut-il
prophète ! Mais ici il s’agit d’une présentation de
Jésus lors de son premier discours, alors
qu’il était encore
disciple de
Jean. Si l’on suppose que, par ce discours,
Jésus voulait marquer son intention de revenir aux origines du prophétisme selon l’esprit
d’Élie, ne peut-on imaginer
qu’il s’était habillé ainsi pour marquer sa personnalité prophétique et la visée de son message ?
Mais quelle qu’ait été son apparence physique, on peut affirmer que
les évangélistes, en faisant
Jean-Baptiste à l’image
d’
Élie
, ont dû projeter sur
lui la figure morale de
Jésus. S’il y a eu un
prophète pour inspirer
Jean, c’était sans aucun doute
Ézéchiel et non
Élie. D’ailleurs, en le faisant à l’image
d’Élie,
les évangélistes ont créé un personnage contradictoire, un
prophète qui annonce à la fois le pardon et le jugement de
Dieu, la venue du sauveur et l’accomplissement de la justice. C’est le signe que cette figure est moins une personne historique qu’un personnage susceptible d’exprimer à la fois
Jean et
Jésus,
l’Élie historique et
l’Élie eschatologique de
Malachie
.
Cette image
d’
Élie
, propre à
Jésus mais mise par
les évangélistes sur le visage de
Jean, se retrouve-t-elle ailleurs dans les évangiles ? Il ne faut pas oublier
qu’Élie était considéré comme un
prophète historique, mais aussi comme un
prophète héroïque qui jouait un rôle dans le devenir du
peuple.
Il était un
prophète du passé, mais aussi du futur, donc attendu au présent. De plus l’Église naissante
l’avait assumé comme figure du
Christ, de la même façon que
Moïse
et
David
.
Il est donc possible que
les évangélistes, tout en ayant dénié à
Jésus l’image réelle
d’
Élie
qu’il portait de son vivant,
lui aient donné l’image idéale de
ce prophète en tant que prototype du
Christ. Encore fallait-il que la personnalité prophétique de
Jésus résiste au processus d’aliénation et de refoulement opéré par
les évangélistes et reste sous les apories du texte, ou du moins se laisse entrevoir sous l’image idéale
d’Élie qui, après tout, n’était qu’une sublimation de la figure réelle
du prophète
(1)
.
Ces considérations nous conduisent à jeter un regard sur les évangiles pour y rechercher cette image. Convaincus que le rôle
d’
Élie
n’a été joué, dans les synoptiques, que par
le Baptiste,
les exégètes ne se sont pas doutés que cette image pouvait aussi se cacher sous la personnalité de
Jésus. Seuls quelques chercheurs (tels
Robinson et
Carena) en ont eu le soupçon ; cependant, il ne s’agit pas pour
eux de
Jésus se façonnant lui-même à l’image
d’Élie, mais
des évangélistes
l’exprimant sur le modèle
d’Élie, en tant que prototype messianique
(2)
. Quant à moi, je chercherai à mettre en évidence ce prototype, mais en vue de détecter les traits historiques qui ont rapproché
Jésus de
l’ancien
prophète de
Tischbé.
______________
(1) Sur
le prophète
Élie
:
Élie
prophète – Selon les Écritures et les traditions chrétiennes
, Desclée, 1956 ;
R. Voeltzer,
Élie, le
prophète : ascète et homme politique
, Delachaux et Niestlé,
Neuchatel, 1972 ;
A. Wiemer,
The profet
Elija in the development of Judaism
, Routlege-Kegan,
London, 1978.
(2)
B. Robinson, «
Christ a northern
prophet in
S. John », in
Scripture
(40), 1965, pp. 104-108. Le point de départ de
l’auteur est que, dans le quatrième évangile,
Jean-Baptiste lui-même nie être
Élie
.
Robinson pense que
l’évangéliste a voulu présenter
Jésus comme un
prophète du nord, sur le type
d’Élie et
d’
Élisée
.
Jésus se serait présenté sous cette forme surtout aux noces de
Cana (ville du nord) et dans la fête des tabernacles. Il s’agit pour
l’auteur d’une recherche sur le langage des évangiles plutôt que sur l’histoire de
Jésus. Toutefois, le fait
qu’il souligne que cette recherche mériterait d’être poursuivie et approfondie (p. 108) semble indiquer que, pour
lui, cet
Élie «
redivivus
» qu’est
Jésus va au-delà de l’intrigue de l’évangile pour atteindre l’histoire.
O. Carena, (
La communicazione verbale nella Biblia
, Marietti,
Roma, 1981), va plus loin que
Robinson, puisqu’il présente une étude sémiotique du cycle
d’
Élie
qui reste ouverte à l’histoire.
Jésus est exprimé selon les schémas de
Moïse
,
d’Élie et
d’
Élisée
, dans la mesure où ces personnages sont des prototypes d’histoire, exerçant une véritable fonction sémiologique. Mais
l’auteur se demande si
Jésus lui-même a vécu son expérience prophétique à la lumière du paradigme de celle
d’Élie, ou si, au contraire, c’est l’évangile qui
le présente comme tel (p. 140). Ce doute fait sortir la méthode sémiotique de la dimension littéraire pour atteindre l’histoire.
1984
u1040000 : 24/04/2018