Sur les bords du Jourdain

Jésus, le messager et Élie

   Ce qui nous oblige à affirmer que Jésus a été directement concerné par les personnages de la vision de Malachie, c’est qu’il a pris comme objet premier de sa prédication le jugement par le feu, événement central du message du prophète. Mais comment a-t-il interprété le rôle du messager et celui d’Élie ?

   Pour ce qui est du premier messager, ou du premier rôle du messager, on constatera qu’il a été joué par Jésus lui-même, puisque dès son premier discours il s’est présenté comme prophète de la venue de Dieu.
   Le second rôle est aussi assumé par Jésus, dans l’acte qui l’a amené à s’emparer du temple après en avoir chassé les vendeurs. Jésus pouvait-il entrer dans le temple pour le purifier (Mc 11:15) sans penser à l’alliance que, selon Malachie, Dieu avait établie avec Lévi, sans penser au messager qu’il avait promis d’envoyer pour la restaurer, sans penser enfin à la purification par le feu que Dieu lui-même, aussitôt entré dans le temple, aurait accomplie sur les prêtres et les sacrificateurs(1) ?

   Il reste à connaître l’attitude de Jésus vis-à-vis du personnage d’Élie, annoncé à la fin du message de Malachie. Nous venons d’examiner un logion de Jésus sur le retour de ce prophète, logion qui montre qu’il avait été réservé et évasif quant à son retour. Au lieu de répondre par l’affirmative ou la négative, Jésus avait été ironique et sarcastique à l’égard des juifs qui se montraient très soucieux du retour d’Élie alors que, de son vivant, ils l’avaient traité selon leur caprice.
   Cette attitude montre que Jésus interprétait le dernier message de Malachie d’une façon métaphorique et non pas réaliste. Le retour d’Élie n’aurait été que la venue d’un prophète qui aurait annoncé le jugement imminent de Dieu, dans le même esprit que lui. On comprend ainsi son souci d’éluder la question qu’on lui avait posée et l’allusion à la personne historique du prophète, qui avait toujours voulu que la volonté de Dieu l’emporte sur celle des hommes.

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(1) Selon Devescovi, « le mérite spécial de Malachie consiste en ce qu’il a su mettre en pleine lumière la signification des fonctions sacerdotales ; il a su placer le sacerdoce d’Israël sur son véritable fondement, le restituant à l’esprit du yahvisme dans lequel l’avait située l’alliance de l’Horeb » (Devescovi, « l’alleanza di Jave con Levi – Ml 2:1-9 », in Biblia e Oriente (4), 1962, p. 218.
En ce qui concerne la tentative d’occupation du temple, elle constitua sans doute un acte religieux et politique de Jésus, visant à chasser du temple les sadducéens qui y détenaient le pouvoir. On peut donc penser que Jésus entra dans le temple avec la conscience d’être le messager de l’alliance. Mais avait-il eu aussi l’intention de changer le culte ? Les paroles qu’il prononça, en reprenant celles d’Osée « Je prend plaisir à la miséricorde et non au sacrifice » (Mt 9:13 ; 12:7 ; Os 6:6) nous pousseraient à l’affirmer.