Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
- Introduction
- Jean Baptiste et Élie
- Jésus et Malachie
- Jésus, le messager
- Jésus et Élie
. Introduction
. Quelques parallèles
. Les deux portraits
. Schéma des références
- Opinions contemporaines
- Résumé
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
Les deux portraits
L’Ecclésiastique trace d’Élie un admirable portrait, synthétisant les caractères du prophète historique du livre des Rois et ceux du prophète eschatologique de Malachie.
Pour le premier, relevons une métaphore prise parmi d’autres : « Alors le prophète Élie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche » (Si 48:1).
Combien cette image exprime aussi la personne de Jésus ! Emblème d’Élie, le feu fut aussi symbole de Jésus : c’est en opposant un baptême de feu au baptême d’eau que Jésus a marqué sa personnalité prophétique à l’encontre de celle du Baptiste, son maître. Aussi l’idéal de sa vie était-il de devenir une torche susceptible d’éclairer et de brûler dans le monde : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fut allumé » (Lc 12:49). Le logion où il manifeste le désir d’un baptême de feu trahit peut-être chez lui l’attente d’une mort semblable à celle du prophète de Tischbé, qui fut ravi sur un char de feu : « Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu’il soit accompli ! » (Lc 12:50 ; voir aussi Mc 10:38).
Enfin, il faut croire que les invectives de malédiction dont il abusait étaient accompagnées de menaces de feu, c’est ce que laissent entendre les paroles de ses disciples quand les samaritains refusèrent de le recevoir : « Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume ? » (Lc 9:54) réminiscence, sans aucun doute, du feu qu’Élie appela sur les envoyés du roi Ochozias (2 R 1:10-12).
On peut penser que, lorsque Jésus affirma aux disciples : « on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier et éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5:15), il se référait à son propre projet d’existence : devenir, comme Élie, une « torche » aussi éclairante que brûlante.
En se rapportant au retour d’Élie, l’Ecclésiastique affirme : « Toi qui fus désigné dans les menaces futures pour apaiser la colère avant qu’elle éclate, pour ramener le cœur des pères vers les fils et rétablir les tribus de Jacob » (Si 48:10). Comme le rédacteur du codicille de Malachie, l’Ecclésiastique confère à l’Élie eschatologique un rôle qui tend à arrêter le jugement de Dieu contre le peuple. Ce rôle de pacificateur est contraire aussi bien au message de Malachie, pour qui le jugement de Dieu est inévitable, qu’à l’Élie historique, qui fut un prophète de malheur plutôt que de bonheur.
Tout en considérant être venu pour accomplir ce retour, Jésus l’a cependant interprété en suivant la perspective de Malachie, plutôt que la finalité pacifiste de son rédacteur et de l’Ecclésiastique. Sans aucun doute, il est resté attaché au personnage de l’Élie historique : conscient de venir dans un temps de menace, il n’a pas cherché à apaiser la colère avant qu’elle n’éclate, mais au contraire il a annoncé cette colère comme un événement inévitable pour la purification du peuple.
Dans son message futur, au lieu de réconcilier pères et enfants, il semble avoir incité à la division et à la séparation. Je cite à nouveau ses paroles, mais en les prenant cette fois chez Matthieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, la belle-fille et sa belle-mère » (Mt 10:34).
Il convient d’interpréter ces paroles en nous rapportant à sa critique radicale du judaïsme. Jésus divise ici la famille pour la reconstituer comme communauté de frères hors du code généalogique. Il cherche à réconcilier les fils de sa génération avec leurs pères, mais par-delà les privilèges de l’hérédité. Il s’agit des pères qui sont issus d’une mère stérile devenue féconde seulement par intervention de Dieu. Pour devenir fils d’Abraham, il faut donc rompre avec la chaîne généalogique, afin de naître à nouveau. On n’est pas fils de Dieu parce qu’enfant d’Abraham, mais on devient enfant d’Abraham parce que l’on est fils de Dieu.
Quant au rétablissement des tribus de Jacob, dernier rôle confié à Élie par l’Ecclésiastique, Jésus aussi en avait le projet. Un de ses logia porte sur ce sujet : « Quand le fils de l’homme, au renouvellement de toute chose, sera assis sur le trône de sa gloire, vous qui m’avez suivi vous serez de même assis sur douze trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël » (Mt 19:28). Nul doute que ce logion est passé par le processus d’une sublimation christologique : l’expression « fils de l’homme » et surtout la référence à la « gloire » et au « renouvellement de toute chose » nous obligent à l’affirmer. Néanmoins, l’allusion aux douze tribus et à un pouvoir exercé par ses disciples semble remonter à Jésus lui-même, d’une part parce qu’elle ne fait pas partie de la catéchèse de l’Église, d’autre part parce qu’on la trouve allégorisée dans l’Apocalypse (Ap 7:4). On cherchera, quand le moment sera venu, à en préciser le caractère.
|