ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le délire et l’entrée de Jésus dans le désert :

aperçu général du phénomène de possession



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication

Le délire et le désert
- Introduction
- Le champ sémantique
- Aperçu de la possession
  . Introduction
  . Dans la culture grecque
  . Dans le judaïsme
- Psycho-philosophie
- Délire et crise de Jésus
- L’entrée dans le désert
- Résumé

Des événements au texte



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

La culture grecque

   Dans la civilisation grecque, on retrouve le phénomène de possession(1) dans les rites initiatiques, dans la divination et dans la tragédie.
   Les rites d’initiation ne consistaient pas seulement en un rassemblement des appelés autour du symbole – le pain et le vin ou l’eau – mais aussi en une expérience collective de la mort du dieu, fondement du passage de la vie mortelle à la vie immortelle. Il s’agissait à la fois d’un rite symbolique et d’un phénomène psycho-religieux.
   Dans la divination, celle du moins qui ne provenait pas d’une lecture de signes (foie des animaux, comètes, vol des oiseaux, etc.) mais de l’interprétation aboutissant à l’oracle, le devin entrait en transes dans la mesure où il ne pouvait parler qu’en devenant, pour ainsi dire, la bouche de dieu lui-même. Les devins aveugles, comme Tirésias, les sybilles(2) et les prophétesses d’Apollon, devaient être possédés par le dieu avant de prophétiser. Ils devenaient autres qu’eux-mêmes, afin que le dieu pût parler en eux et par eux.
   La tragédie grecque aussi avait comme point de départ un mythe caractérisé par un phénomène de possession par un dieu. L’action tragique, en effet, découlait moins d’un péché que d’un malheur, dû à un état de folie qui affectait le héros à cause de l’intervention d’un dieu. Chez Sophocle, Ajax devient fou parce qu’il est saisi par la colère d’Athéna, Oreste parce qu’il est possédé par les Érinyes ; chez Euripide, Héraclès le devient par l’action de Lisa, Penthée et Agave parce qu’ils sont possédés par Dionysos. L’action devient tragique par un état de transe où le héros, jouant le rôle d’une justice qui le dépasse, n’est plus lui-même.

   On désignait ce phénomène par « mania », mot qui est traduit par « fureur », « délire », ou « transe ». Il est important à propos de ce mot de se rapporter à Platon, qui range le phénomène de possession parmi les maladies de l’esprit, le définissant comme « un état divin qui nous fait sortir des règles coutumières »(3). Ce sens est précisé par l’emploi du verbe « ex-allago », qui signifie à la fois l’abandon et le changement : abandon de ce que nous sommes, changement dans une autre personne.
   Selon le même philosophe, la mania se divise en quatre catégories, correspondant à la fois aux dieux qui habitent le délirant et aux fonctions du délire : la mania « mantique », relative à Apollon et aux fonctions de divination et de prophétie ; la mania « télestique », en rapport avec Dionysos et dont la fonction est cultuelle ; la mania « érotique », déterminée par la présence d’Aphrodite et fonction de l’amour ; enfin la mania « poétique », celle de l’inspiration des muses dans l’œuvre poétique.
   Les verbes employés pour désigner la mania sont multiples. Dans la mesure où la personne est censée être habitée par les dieux, on dit qu’elle est « indiée » (en-theos)(4). Quant à la possession, elle est exprimée directement par « eo » (porter) ou « cat-eo » (tenir fortement), mais aussi « lambano » (prendre)(5). Pour l’inspiration poétique et pour la prophétique(6), on trouve le verbe « epi-pneo », avec le sens d’insuffler. Mais, dans son ensemble, la mania s’inscrit dans le phénomène du délire, avec l’emploi du verbe « existemi », être hors de soi-même.

______________

(1) Dans Platon, le terme fondamental est « mania ». Il existe deux sortes de mania, l’humaine et la divine, selon qu’il s’agit d’une maladie ou d’une aliénation par laquelle les dieux font sortir l’esprit de l’homme de ses règles coutumières de fonctionnement (Phèdre, 265,a). L’inspiration (epipnoia) est une des formes de la mania divine, la « mania divinatoire » (Phèdre, 365,b). Voir aussi Crat. 399,a ; Lois V. 738,c ; 747,c.3 ; VII. 811,c.9 ; Ap. VI, 891,b.
Pour Eschyle, elle est un souffle par lequel Zeus vivifie la nature (Les suppliantes, 18,45) ou la femme qu’il rend féconde (Io, dans Les suppliantes, 575).   Retour au texte

(2) Virgile décrit la sybille possédée par Apollon comme une bacchante en fureur, prise par les douleurs de l’enfantement du dieu :
« At foebi nondum patiens immani in antro
Baccatur vates, magnum si pectore possit excussisse deum » (Énéide, VI, 76).   Retour au texte

(3) Pour la mania, voir H. Jeannemarie, Dionysos, Payot, 1979, pp.105-156 ; G. Rouget, La musique et la transe, Gallimard, 1980, pp. 267-315.   Retour au texte

(4) Ce verbe est employé de façon privilégiée pour l’inspiration, ou possession poétique. « Tous les poètes épiques, les bons poètes, ne le sont point par un effet de l’art, mais c’est pour être inspirés par un dieu et possédés (alla entheoi ontes kai katécomenoi) qu’ils débitent tous ces beaux poèmes » (Platon, Ion, 533,2). « Les muses aussi font des inspirés (entheous) : au moyen de ces inspirés par elles, d’autres éprouvent l’enthousiasme » (Platon, Ion, 553,c).   Retour au texte

(5) Le verbe « paralambein » ou « lambanein » signifie la possession par l’esprit (Mt 5:5-8 ; Lc 9:34 ; Hérod. 4,79 ; Higinus, 37).   Retour au texte

(6) Platon parle ainsi de la prophétie : « La divinité leur ôte la raison, en les prenant pour des ministres, comme les prophètes et les devins inspirés, c’est pour nous apprendre, à nous les auditeurs, que ce n’est pas eux qui disent des choses si précieuses, mais la divinité elle-même qui parle et, par leur intermédiaire, se fait entendre à nous » (O théos autos eston o légon), Platon, Ion, 534,d.   Retour au texte



1984




Retour à l'accueil Aperçu général du phénomène de possession Haut de page La possession dans le judaïsme      écrire au webmestre

u1221000 : 04/06/2018