ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le délire et l’entrée de Jésus dans le désert :

résumé



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication

Le délire et le désert
- Introduction
- Le champ sémantique
- Aperçu de la possession
- Psycho-philosophie
- Délire et crise de Jésus
- L’entrée dans le désert
- Résumé

Des événements au texte



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   Jésus fut atteint de délire religieux, délire que les juifs considérèrent comme une possession par Satan, et les chrétiens comme une possession par l’Esprit de Dieu. Ce phénomène semble confirmé par le fait que, selon Marc, les frères de Jésus crurent qu’il était frappé de folie, cependant que les juifs l’accusaient d’être possédé par Beelzeboul. Ce phénomène intervenant au moment de la crise religieuse et de la vocation prophétique de Jésus, nous sommes obligés de le considérer comme un délire de possession religieuse. Dans la possession, l’individu parle et agit en personnifiant un esprit : il peut être comparé à un acteur qui, cependant, jouerait son rôle dans la vie et non sur la scène, en état d’inconscience.

   Le phénomène était très répandu dans l’antiquité, que ce soit dans la culture grecque ou dans le monde juif. Chez les grecs, on le retrouve dans les rites d’initiation, dans la divination et dans la tragédie. L’initié et le prophète étaient censés être possédés, de même le héros, qui n’entrait dans l’action tragique que parce qu’il était saisi par un dieu. Les grecs appelaient ce phénomène « mania ». Chez Platon, la mania comprend quatre genres de possession divine : mantique ou prophétique, télestique ou mystique, poétique, érotique, selon que l’individu est possédé par Apollos, Dionysos, les Muses ou Aphrodite. Sous ce terme de mania, le philosophe englobe l’ensemble des phénomènes propres à la divination, à l’expérience religieuse, à la poésie et à l’amour.
   Dans le judaïsme, le phénomène est toujours lié à la saisie par l’esprit, soit de Dieu, soit de Satan. Le prophète est par excellence l’homme possédé par l’Esprit de Dieu. Bien que, par ses écrits, le prophète nous apparaisse comme un homme conscient et responsable de ses paroles et de ses actes, si l’on se réfère au phénomène psychique qui le fait agir en tant que prophète il est bien un homme possédé, donc aliéné de sa conscience. Cette aliénation est manifestée par la philologie du mot, ainsi que par les textes qui se rapportent au prophétisme primitif dans lequel les hommes inspirés proclamaient leurs oracles en étant en transe.

   Le fait qu’un individu ne puisse être possédé que par le dieu ou l’esprit auquel il croit au préalable, nous conduit à affirmer qu’il y a une relation entre le personnage mythique qui sous-tend la croyance et l’esprit du phénomène de possession.
   Pour comprendre cette relation, j’ai cherché tout d’abord à cerner le mythe en me référant à la philosophie de Jean-Baptiste Vico. En supposant que la conscience se trouve dans une situation originelle d’ignorance des choses (ignorantia rei), le mythe apparaît comme une « métaphore », visant à représenter l’être par analogie avec l’expérience de la vie, par la sublimation du désir. Le mythe tourne donc autour d’un personnage universel et totalisant, qui couvre de son sens le cours de la vie des hommes. Les individus ne vivent que sous le conditionnement du personnage mythique ; ce conditionnement vient du fait que le personnage est le transfert de la conscience de soi des individus eux-mêmes. Quant au phénomène de possession, il implique une révolte contre cette aliénation fondamentale, et donc aussi une identification de l’individu avec le personnage mythique, identification qui rompt la barrière entre inconscient et conscient.

   L’entrée de Jésus dans le désert eut une forte charge émotionnelle. Elle évoquait pour lui son exposition par sa mère, donc sa situation d’homme bâtard, mais aussi la marche du peuple dans le désert, après qu’il fut sorti d’Égypte. Comme son peuple et comme le voulaient ceux qui le condamnaient, Jésus se trouvait dans la situation de tenter Dieu : pouvait-il être sauvé par Dieu, alors qu’il était bâtard ? Ne s’adressait-il pas à un Dieu qui n’était pas le sien ?
   La réponse lui vint d’Osée, qui montrait que Dieu était au-dessus de la race d’Abraham, et ne prenait pour fils que des enfants bâtards. Dès lors, Jésus vit dans sa situation d’enfant bâtard le signe, gravé par Dieu dans sa chair, qu’il était ce Lo-Ami, ce peuple bâtard, que Dieu appelait à sa rencontre dans le désert afin de renouer par amour une nouvelle alliance. Il devait aller dans le désert à la place d’Israël, la mère prostituée que Dieu condamnait. Le délire de Jésus consistait en ce que, perdant la conscience de soi, il se prit pour Lo-Ami.

   Jésus entra dans le désert en situation de transe. Le signe en est qu’il y alla nu, comme les hommes saisis par la mania dans le monde grec, ou comme les anciens prophètes du judaïsme. Il se déshabilla pour signifier par ce geste la condamnation subie par Israël infidèle qui, selon le prophète, avait été « dépouillée à nu » (Os 2:5), rendue déserte. Il revenait aussi à la situation originelle de la création. Ce fut par son délire que la prophétie d’Osée passa du verbe au niveau de l’être.



1984




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