Sur les bords du Jourdain

La nudité dans la tradition
de l’ancien prophétisme

   Le nudisme était aussi pratiqué par les anciens prophètes d’Israël, qui sortaient en public couverts d’un pagne autour des reins et d’une toison sur le dos. Ce mode d’habillement, très proche de celui des compagnons de Dionysos, montre que les prophètes étaient des hommes revenus, par pureté, à la nudité originelle et qui ne s’habillaient que d’une façon symbolique pour se montrer en public. Cette coutume était courante, comme cela ressort de Zacharie 13:4.
   On peut mieux l’analyser dans le comportement d’Élie. Comme je l’ai déjà noté par ailleurs, ses habitudes privées étaient proches de celles d’un homme sauvage. Bien qu’il sortit couvert d’une toison, celle-ci n’empêchait pas de voir que son torse était « hirsute » (2 R 1:8), mais évidemment il ne portait ce « manteau » qu’en public, comme le laisse deviner le texte 2 R 2:8. Un autre passage nous fait supposer que, dans sa solitude, il vivait nu, car il ne ceint son pagne que pour aller à la rencontre du roi Achaz (1 R 18:46). Il faut supposer aussi que, en disparaissant dans la montagne sans manteau, il resta nu lors de sa mort.
   C’est en se référant à cette ancienne pratique prophétique que Marc a pu censurer l’information concernant le nudisme de Jésus en l’attribuant à Jean.

   Dans le prophétisme archaïque, le nudisme est aussi lié au phénomène du délire. Le prophétisme était alors un charisme collectif, les prophètes vivant ensemble au sein de confréries et prophétisant par excitation gestuelle et musicale et en état de délire. Comme je l’ai déjà dit, à cette époque prophétiser et être possédé psychiquement par l’Esprit coïncidaient.

   Ce nudisme apparaît de façon évidente dans le texte décrivant la saisie de Saül par l’Esprit et son entrée en délire prophétique : « L’Esprit de Dieu fut aussi sur lui ; et Saül continua son chemin en prophétisant, jusqu’à son arrivée à Najoth, près de Rama. Il ôta ses vêtements et il prophétisa aussi devant Samuel ; et il se jeta nu à terre et resta ainsi tout ce jour et toute la nuit » (1 S 19:23-24).
   On remarquera qu’il se déshabilla au moment où il allait prophétiser, le fait qu’après il tomba par terre nu suppose qu’il s’était déshabillé complètement. Il n’est pas trop risqué d’affirmer que le prophète ne pouvait prononcer la parole de l’Esprit qui l’habitait que nu, ramené à son état originel. En même temps, ce nudisme manifestait l’état de délire.