Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
- Introduction
- Le champ sémantique
- Aperçu de la possession
- Psycho-philosophie
- Délire et crise de Jésus
. Retour du traumatisme
. L’univers mythique
. Le Dieu de la création
. Possession par l’Esprit
- L’entrée dans le désert
- Résumé
Des événements au texte
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Le trouble dans l’univers mythique de sa conscience
Cette angoisse devait se refléter dans l’univers mythique du psychisme de Jésus. En même temps qu’il faisait émerger le traumatisme refoulé de son enfance, le désert lui permettait de revivre le mythe refoulé dans la conscience collective. Le peuple, lui aussi, avait été chassé dans le désert, exposé à la mort, contraint de tenter Dieu pour exister comme peuple(1).
Dieu s’était manifesté aux origines de cette marche dans le désert ; autrement dit, il n’avait existé comme Dieu qu’à partir de cette expérience, par la projection de la conscience collective du peuple. C’est de ce Dieu – de cette projection de la conscience collective – que la Thora est née et que, avec elle, les individus se sont posés comme personnes. C’est de ce Dieu que le peuple a obtenu le salut, car c’est lui qui a relevé le défi, permettant au peuple de vivre dans une terre aride, lui donnant lui-même à boire et à manger, le conduisant finalement jusqu’à la terre promise.
Telle est la trame fondamentale du mythe qui constituait le fond commun de la conscience culturelle juive, et qui conditionnait la vie de chaque individu. Il permettait à chacun de s’inscrire dans une commune visée d’existence et d’être une personne.
Mais qu’en était-il pour Jésus ? Si tous les israélites pouvaient se réjouir d’avoir été conduits par Dieu hors du désert, Jésus, lui, y était ramené comme si, pour lui, l’histoire n’avait pas existé ou, soudainement, disparaissait face à lui : il était repoussé en-deçà de l’ère du salut. Tandis que, pour tous les autres, le mythe était opératoire, les conduisant à l’affirmation de soi à partir d’une sublimation originelle de la conscience – le personnage du dieu –, pour Jésus son dynamisme restait bloqué. Tout en se reniant devant le dieu de ce mythe, Jésus ne pouvait pas participer de la vie qu’il était destiné à communiquer car, comme bâtard, il n’était pas une personne mais un sujet humain voué à la mort.
De cet échec vient le chancellement de l’univers mythique et des assises du psychisme de Jésus : ne pouvant lui assurer une personnalité individuelle, ce dieu ne se comportait pas en dieu avec lui. Les barrières maintenant l’ordre du psychisme par la séparation du conscient et de l’inconscient se rompirent, ouvrant au désir une brèche qui lui permit de surgie de l’inconscient pour exiger de Dieu ce qui lui était dû.
Mais le dieu de ce mythe pouvait-il lui donner ce qu’il demandait ? Il lui demandait en effet de répéter sur sa personne le miracle qu’il avait accompli sur le peuple dans le désert ; par-là, il lui demandait d’authentifier sa personnalité de prophète. Et si Jésus se trompait ? La condamnation de la part des juifs, leur requête légitime d’un signe ne constituaient-elles pas un appel à la réflexion et au doute ? Au fond, Jésus avait estimé être purifié de sa tache originelle d’homme bâtard en considérant – selon les oracles de Malachie – que Dieu avait condamné le judaïsme historique et que, désormais, les hommes seraient jugés non en fonction de la Loi mais de leurs œuvres. Mais Dieu pouvait-il rendre un jugement par lequel il détruirait toute l’histoire du peuple ? N’était-il pas « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Ex 3:6), le Dieu des pères et donc de la génération du peuple ? N’impliquait-il pas, par l’affirmation de cette paternité, l’exclusion du bâtard de sa grâce et de ses promesses ? De quel dieu alors Jésus s’était-il fait prophète ?
Si l’on suppose ce doute, la crise de Jésus prend une dimension tragique : Yahvé ne pouvait pas opérer le miracle qu’il demandait. Étant défini comme père d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Yahvé n’était que la projection d’une conscience collective fondée sur le pouvoir du père. Sa transcendance n’avait pour fonction que de transformer en impératif catégorique le vouloir de la tradition, et de rendre normatifs les privilèges de race. Or ce dieu là ne pouvait pas accréditer le prophétisme de Jésus puisque, étant bâtard, il était étranger à la génération des pères, et donc à Dieu lui-même. Jésus aurait pu demander à Dieu une légitimité par adoption, mais pas par-delà la Loi. Prétendre à cela revenait à exiger que Dieu ne soit plus lui-même, or il n’y avait pas d’autre dieu que Yahvé.
Vue sous cet angle, la crise de Jésus se présente comme une situation contradictoire, qui ne peut trouver de solution dans la dynamique fondamentale du mythe. En surgissant de l’inconscient, le désir ne semble vouloir aboutir qu’à la destruction du mythe, à renier cette projection fondamentale de soi qui soutient l’ordre psychique. S’agit-il donc d’un retour au chaos ? Si l’on revient au chaos psychique il n’y a pas, non plus, possibilité d’un phénomène de possession, mais de folie tout court.
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(1) L’histoire du peuple commence par son entrée dans le désert (Ex 5:1 ; 7:16 ; Nb 14:33 ; Ps 78:52), où Dieu le tente (Ex 15:25 ; 16:4 ; 20:20) et où il tente Dieu (Ex 17:2; 7 ; Ps 35:16 ; 18:41 ; 95:9). 
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