ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLe centurionMatthieu 8: 5-13 |
1- Le récit de Matthieu16- Le centurion :
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Introduction Sommaire Le récit de Matthieu Le sens théologique Le genre littéraire - Récit historique ? - Récit romanesque ? - Récit d'interprétation Du récit au document - Première aporie - Deuxième aporie - Troisième aporie Du document à la tradition populaire - Les apories - Le récit populaire - Trois tableaux d'un même fait La gnoséologie du récit - La gnoséologie des Évangiles - Jésus est le Christ - Narrateurs de Jésus- Christ Information sur Jésus, foi en Jésus-Christ - La confession de foi du centurion - Jésus loue cette foi - Interdit sur le peuple juif - La guérison par la foi Les récits parallèles Le texte de Luc Le texte de Jean Les trois textes et la foi au Christ Regard à partir des principes de l'analyse référentielle |
elon le texte d’accusation, Jésus n’a pas guéri le fils du centurion, alléguant que Dieu ne concède pas une grâce par l’action miraculeuse d’un thaumaturge, mais par la foi de celui qui la demande. Ce qui, pour les pharisiens, était une échappatoire de Jésus qui aurait ainsi avoué son impuissance. Il était donc un menteur ! Le texte implique que, désormais, la foi au Christ est devenue le moyen du salut, puisque Dieu a fait de lui l’unique médiateur entre lui et les hommes. Elle n’est pas une simple croyance en Jésus comme Christ, mais une communion avec lui par son Esprit. Le Christ agit donc sur les hommes au travers de la foi de ses croyants, sans avoir besoin de recourir à des actions miraculeuses, parce que toute grâce sera donnée par la foi. Cependant, si le texte de Matthieu, dans sa complexité, s’oppose à celui de l’accusation au niveau du sens, ce n’est pas tout à fait le cas pour l’intrigue. En effet, le texte affirme que le serviteur du centurion a été guéri, mais il le fait dans un contexte, précisément au moment où les amis du centurion, de retour à la maison, trouvent le serviteur en parfaite santé. Ainsi, au cours de la rencontre, Jésus n’a pas opéré de guérison par le mot créateur demandé par le centurion ni, non plus, par une action miraculeuse. Il est donc logique de penser que cette guérison a été opérée par la foi du centurion. Mais l’importance de ce texte relève de ce que la foi qui guérit est celle d’un païen, le centurion romain et, comme tel, étranger au culte et aux traditions de la religion juive, comme à l’attente du Christ. Il ne reconnaît Jésus qu’en analogie à sa relation de pouvoir avec l’armée. Or c’est cette foi que Jésus loue et à laquelle Dieu, selon le texte, répond par la guérison. On peut dire que, par la foi du centurion, Jésus est reconnu comme Christ, sans en porter le nom et sans en assumer les « figures bibliques ». Il est présenté sous l’image d’un chef militaire, un Christ devenu Romain ! Dès lors apparaît l’étrangeté du récit. Non seulement un païen a reconnu la venue du Christ, mais il y est parvenu à partir de l’expérience de sa culture et de son existence qui a resitué l’image du Christ dans une atmosphère qui lui est étrangère. Matthieu avait découvert cette prophétie de Jésus ainsi que sa réalisation au moment de l’événement qui avait coïncidé avec le temps de la rédaction de son Évangile : la guerre déclarée aux Juifs par Vespasien et terminée par la destruction du temple de Jérusalem et la dispersion du peuple juif. L’évangéliste reconnut dans l’intervention de l’armée romaine la venue de Jésus-Christ dans le monde pour en prendre possession et pour punir les Juifs de leur infidélité. Cette interprétation lui avait aussi permis de comprendre que les propos tenus par Jésus sur leur exclusion à cause de leur incrédulité faisaient partie de la prophétie, et annonçaient son élévation par Dieu comme Christ et Seigneur. En véritable souverain, Jésus-Christ domine le monde, au moment même où Vespasien devient empereur. Auguste avait établi le culte de l’empereur en la personne de César, fondateur de l’empire monté au ciel comme un fils de dieu, mais la foi au Christ imposait désormais de croire que César lui cédait la place, car il était médiateur du pouvoir politique, de même qu’il l’était du pardon des péchés. Dans cette perspective, on peut affirmer que le Christ est « Romain ». Cette affirmation nous permet de poursuivre dans l’histoire de la foi au Christ jusqu’au temps ultime du Moyen-Âge, grâce à l’apparition de faits nouveaux. Le pseudo document de la Donation de Constantin avait fait croire que cet empereur avait cédé le droit de la souveraineté de l’empire à l’évêque de Rome, en qui se concentraient les deux pouvoirs du Christ : le spirituel et le temporel. Le pape devenait le « Christ sur terre », la source de tout pouvoir effectif dans le monde, le sacré et le politique. Historiquement, par lui le Christ devenait « Romain ». À ce point de ma réflexion je me tourne vers Dante, le poète qui clôt le Moyen-Âge par une épopée qui a pour sujet le drame de l’humanité soumise à la foi au Christ : la Divine comédie. Je m’arrête aux visions qui précèdent son entrée dans le Paradis, au chant 32 du « Purgatoire ». Le poète voit l’arbre qui s’élève du paradis terrestre jusqu’au ciel desséché et dépourvu de feuillage, il s’agit de l’Église, corrompue et dissolue à cause du pouvoir temporel issu de la Donation de Constantin. Mais, dès que Béatrice s’assied au pied de l’arbre pour le protéger, ses feuilles repoussent. Laissons de côté les multiples scènes qui se succèdent autour de l’arbre pour prêter attention aux paroles que Béatrice adresse à son poète pour l’inviter à la suivre sur le chemin qui mène au paradis : « Tu resteras très peu de temps dans la forêt L’Église est condamnée à mourir de sécheresse et de dépouillement, à la suite de la Donation de Constantin sur laquelle le pape a fondé un pouvoir que le Christ ne lui avait pas donné, puisqu’il l’avait octroyé à l’empereur, pour la paix et le bien être des nations. C’est comme chef de ce double pouvoir que le Christ réside dans la Rome céleste, en sorte qu’il est Romain. Mes remarques à partir du récit du centurion sur le peuple juif confortent la conception de Dante. L’Alighieri a défini sa théorie politique sur l’empereur (pour laquelle il a subi l’exil) dans son livre De regimine principum. Il est important de préciser que sa conception du pouvoir de l’empire n’est pas en opposition aux visées de l’Évangile de Matthieu, et qu’elle a joué un grand rôle dans la sécularisation, sinon dans la laïcisation, de la société. Peut-être aussi peut-elle jouer encore un rôle dans la définition du pouvoir politique dans notre ère de mondialisation, mais ce problème dépasse notre recherche, et je n’y ai fait allusion qu’en complément culturel. |
t461640 : 23/07/2017