Les motivations théologiques

   On peut supposer que Matthieu a été motivé par la thèse qui régit son récit : la naissance virginale de Jésus. Logiquement, cette naissance aurait dû être située dans une généalogie maternelle, car, dans ce cas, l’enfant tire son être exclusivement de sa mère, sans le concours d’un homme. Mais une généalogie maternelle aurait été un non-sens dans le judaïsme, il fallait donc inscrire la naissance de Jésus dans le cadre d’une génération paternelle. Cela produit une aporie car, tandis que dans la succession des aînés c’est le père qui engendre, ici c’est la mère. Or l’enfant n’est légitime que dans la mesure où, par le biais du mariage, il passe pour fils du mari de sa mère.
   C’est pour accorder la génération des pères avec cette génération par la mère que Matthieu fait allusion à ces femmes. Dans la mesure où, pour lui, la Bible n’est qu’une préfiguration du Christ, ces femmes-là assument une signification messianique. Dès lors, on peut penser que d’autres raisons théologiques se superposent à celle-ci.

   Des exégètes s’évertuent à les rechercher en se fondant sur les caractéristiques de ces femmes. Quelques-uns constatent que Tamar et Rahab sont Cananéennes, Ruth Moabite et Beersheba Hittite ; ils pensent donc que Matthieu a voulu mettre en évidence le caractère universaliste du Christ, qui est sauveur de tous les peuples.
   D’autres remarquent que le mariage de ces femmes présente des irrégularités : ceux de Tamar et de Ruth s’inscrivent dans le cadre du lévirat, celui de Rahab est célébré après qu’elle ait vécu comme prostituée, celui de Beersheba a été légalisé après un adultère. Ces exégètes affirment que Matthieu a voulu souligner, par ces irrégularités, que Dieu est complètement libre dans le choix des hommes et des femmes donnant naissance à son fils, la tache de ces femmes ne faisant que rehausser l’origine divine du Christ.
   D’autres enfin observent que ces femmes ont été célébrées pour leur foi, qui éclipse leurs fautes et les rend dignes d’être proposées comme exemples de perfection chrétienne.