Joseph ne met pas son propos à exécution parce que l’ange de Dieu lui apparaît en songe, lui disant que Marie est enceinte du Saint Esprit. Il doit donc prendre Marie comme épouse, car son enfant est le Sauveur des péchés du peuple. Ce rêve libère donc Joseph du doute sur la culpabilité de Marie et de la certitude qu’elle portait un enfant de prostitution. Sa gestation n’était qu’une énigme, sous laquelle Dieu avait caché l’accomplissement de sa révélation sur la naissance du Christ : « Voici la vierge sera enceinte, elle accouchera d’un enfant et elle donnera à celui-ci le nom d’Emmanuel » (Is 7:14).
   Le rêve ne serait que la manifestation par l’ange de l’accomplissement en Marie de la prophétie messianique d’Isaïe sur la naissance du Christ. La compréhension du rêve reste donc conditionnée par la compréhension de cette prophétie.

   Il est possible de connaître le processus d’interprétation suivi par Matthieu. Il trouve que l’information selon laquelle Marie a été trouvée enceinte (« ayant dans son ventre ») dans son état virginal rend présent ce que la prophétie affirmait au futur au sujet de la « vierge » : « la vierge sera enceinte ». Or, quoi que le fait de cette grossesse demeure scandaleux aux yeux des hommes, sa correspondance avec la prophétie le révèle dans sa profonde réalité : Marie n’est pas enceinte par prostitution, mais par l’œuvre du Saint Esprit qui accomplit en elle la naissance du Christ. Le fait d’avoir conçu « avant d’avoir rencontré son époux » était une condition de cet accomplis­sement : elle devait être vierge.

   Mais qui a pu interpréter ainsi l’oracle d’Isaïe ? Joseph, époux présumé de Marie, ou Matthieu et son Église ? Il convient de remarquer que, pour interpréter dans un sens messianique un fait à la lumière d’un passage des Écritures, il faut supposer la croyance au Christ et un code établi d’interprétation. Or Joseph, comme d’ailleurs le montrent son doute et la révélation du rêve, ne pouvait avoir ni cette foi ni ce code. Il s’agit donc d’une interprétation christologique propre à l’Église qui a voulu interpréter l’information au sujet de la grossesse de Marie.
   D’ailleurs l’analyse de l’interprétation le confirme. Elle mène à supposer que, pour Matthieu, le signe spécifique de la naissance du fils de Dieu est qu’il soit conçu par une mère vierge, vierge au sens qu’elle n’a pas conçu dans une relation charnelle avec un homme mais par l’intervention de Dieu. Matthieu interprète la prophétie en se fondant sur les mots « la vierge sera enceinte », or on constate que le mot « vierge » ne se trouve pas dans le texte hébreu, mais seulement dans la traduction en grec de la Septante. En effet, dans le texte hébreu on trouve « almah » (jeune fille) et non « betoulah » (vierge).
   Ainsi l’interprétation de la conception virginale est non seulement postérieure mais étrangère à la prophétie, elle ne remonte qu’à la foi d’une Église déjà hantée par la naissance du héros selon le modèle grec, ainsi que par l’idéal de la virginité.

   Le rêve de Joseph n’est donc pas une vision qu’aurait eue l’époux de Marie, mais une projection de l’interprétation christologique de l’oracle d’Isaïe.