Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
- Introduction
- Le conditionnement
- Le code généalogique
- Le complexe du bâtard
- La crise de Jésus
- Jésus chez le Baptiste
- La rupture
- Résumé
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Pourquoi Jésus s’est-il rendu chez Jean, et non dans une autre communauté d’ascètes ? On peut évoquer le fait que la prédication de Jean-Baptiste constituait en ce temps l’événement prophétique par excellence, susceptible d’attirer tous ceux qui étaient à la recherche d’un salut, mais étant donné le caractère spécifique de la crise de Jésus, il dut y avoir aussi des relations d’affinité entre le message du prophète et les questions que Jésus se posait à lui-même.
Je me propose donc de rechercher si le message et le baptême de Jean étaient susceptibles d’offrir aux bâtards une voie de libération du conditionnement social et de leur complexe.
Jésus dit au sujet de Jean-Baptiste qu’il est le plus grand parmi les « nés de femme », mais que le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui (Lc 7:28). Ces paroles semblent moins revenir à Jésus qu’à ses disciples qui, en polémiquant avec ceux de Jean, revendiquaient la supériorité de leur maître sur celui-ci.
Une question se pose quant au sens de l’expression « né d’une femme » : dans la mesure où tout homme est né d’une femme, on serait porté à croire qu’elle désigne tous les hommes. L’ensemble de la phrase aurait donc le sens suivant : si Jean est le plus grand parmi les hommes, il n’en demeure pas moins qu’il est inférieur au plus petit dans le royaume des cieux. Les chrétiens répliquent ici aux baptistes et, sous une apparente reconnaissance de la personnalité de Jean, le font non seulement inférieur à Jésus, mais même aux croyants en son messianisme.
Il paraît cependant étrange qu’on ait pu affirmer que Jean était le plus grand de tous les hommes. Je pense au contraire que l’expression « né d’une femme » doit être comprise par opposition à sa corrélative « né d’un homme » : il y avait deux classes de personnes selon que, par naissance, elles étaient déterminées par rapport au père ou à la mère. Les personnes « nées d’une femme » s’inscrivaient dans une généalogie féminine, celles qui étaient « nées d’un homme » dans une généalogie masculine.
Quelle différence y avait-il donc entre le bâtard et le « né d’une femme » ? En réalité aucune : ils différaient seulement en ce que le terme « bâtard » désignait l’homme sans père mais aussi sans mère connue, tandis que la formule « né d’une femme », prise comme expression typique, désignait l’homme sans père mais dont on connaissait la mère.
On peut affirmer aussi que, par « bâtard », on entendait l’homme sans père ni mère, tandis que le « né d’une femme » était un bâtard qui, pour des raisons de prestige, avait été reconnu légitime par rapport à la généalogie maternelle. Il était sans père (apator), mais pas sans mère (amétor)(1).
Jean-Baptiste aurait été un de ces hommes : un bâtard auquel on reconnaissait une existence légitime moins par sa naissance que par son rôle prophétique. Et comme lui le furent, probablement, Moïse et Élie. Comme nous l’avons vu, Jésus lui-même est appelé par Paul « né d’une femme », un bâtard donc, qui aurait acquis sa personnalité en raison de sa fonction christique. Cette affirmation de Paul et la généalogie de Luc nous amènent à penser que Jésus s’était acheminé sur la voie de la légitimation par le prophétisme, voie que lui ouvrait le baptême de l’eau.
Quant à ce baptême, il s’inscrivait dans le cadre d’une purification visant à ramener les fils d’Israël à leur perfection originelle du désert. Cette purification par l’eau trouvait son fondement dans une des visions d’Ézéchiel : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes les souillures et de toutes vos idoles » (Éz 36:25).
Les rabbins se posaient la question de savoir si cette purification parviendrait à ôter la souillure contractée par la naissance illégitime. Selon les uns, comme Rabbi Meir, il n’y aurait pas de bâtards purs dans le futur ; selon d’autres, les bâtards seraient purifiés(2). Il est légitime de penser que ces questions se posaient aussi du temps de Jésus, dès lors Jésus aurait vu dans le message du Baptiste l’annonce de l’accomplissement prochain de cette purification finale, où les bâtards deviendraient eux aussi fils de Dieu, au même titre que les fils légitimes d’Abraham.
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(1) Ces réflexions s’appuient sur l’affirmation de Philon, selon lequel le mot « sans mère » (amétor) désignait la personne dont on ne connaissait que la génération paternelle (De Ebrietate, 20,12) et donc de mère inconnue. Par opposition, le mot « sans père » (apator) désignait celui qui, n’ayant pas de génération paternelle, ne pouvait être connu que par rapport à la généalogie de la mère. Il n’était pas stricto sensu un bâtard : le mot « bâtard » – au sens strict du terme – était réservé à l’homme à la fois sans père et sans mère, aussi bien « amétor » que « apator ». Jésus fut un tel homme. 
(2) Bonsiver, Op. cit., 1582-1601. 
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