ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




La genèse du discours de Jésus :

la personnalité de l’homme et du prophète



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours

Genèse du discours
- Introduction
- La purification
- La crise
- Les références bibliques
- La vision d’Osée
- Le message d’Ézéchiel
- Le Dieu de Jésus
- La personnalité de Jésus
  . L’homme
  . Le prophète
- Le discours
- Résumé

Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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Le prophète


   S’il est une personne qui, dans le monde, se lève en face des autres avec une conscience qui la situe au-dessus d’elle-même, c’est précisément le prophète. Si les autres individus parlent en s’inscrivant dans un processus de discours qui les précède et les suit, le prophète, quant à lui, prononce une parole qui se veut originelle et qui s’adresse aux hommes sans venir d’eux. Son discours résonne comme un « apax ». Cela n’empêche pas qu’il relève d’un autre discours, qui n’est pas celui des mots mais celui des signes et des images. Le prophète parle dans la mesure où il écoute et traduit une parole, qui est censée être parlée ou écrite par Dieu. Il est le premier locuteur de cette parole parce qu’il en est aussi le premier auditeur.

   Cherchons à approfondir ce phénomène. Tandis que tout homme prend conscience de soi dans la mesure où il est sujet d’un discours qui le situe face aux autres, le prophète au contraire parvient à la conscience de soi parce qu’il écoute ou lit une parole qui le met en relation avec Dieu.
   Sa situation peut être assimilée à celle de l’acteur : celui-ci, en effet, parle une parole qu’il traduit d’un écrit qui n’est pas de lui mais d’un autre. Sa parole est celle qu’il a lue, de sorte qu’en lui l’auditeur devient locuteur. L’acteur ne joue pas seulement le rôle du personnage, mais aussi celui de l’auteur qu’il incarne par sa parole. Il s’exprime donc dans la mesure où, sur la scène, il cesse d’être lui-même pour devenir, par le jeu, l’autre : l’auteur et le personnage. Il agit et parle par un moi qui n’est pas lui.
   Le prophète est lui aussi un acteur, qui cependant ne joue pas son rôle sur une scène mais dans la vie. De même que l’acteur incarne un personnage, le prophète personnifie le sujet de la parole qui s’adresse à lui, Dieu. Il agit non par son moi, mais par son sur-moi.

   Jésus s’est approché d’Osée pour le lire, non pas grammaticalement et sémantiquement – comme le faisaient les scribes – mais prophétiquement, c’est-à-dire comme un acteur qui vise à accomplir et traduire son texte dans son propre langage. Pour lui, le message d’Osée n’est pas une parole achevée, mais destinée à être accomplie dans l’histoire. Il ne pouvait réaliser cet accomplissement sans jeter un regard sur cette histoire, afin de savoir si elle en possédait le signe.
   On peut affirmer que Jésus a parlé après avoir regardé deux écrans, celui de l’Écriture et celui de la vie, celui du signifié de la parole de Dieu et celui du signifiant. Or il parvint à lire et à comprendre lorsqu’il découvrit qu’il était, par sa génération, le signe de cet accomplissement, dans la mesure où il était bâtard. En se regardant à la lumière du récit d’Osée, il découvrait qu’il était né bâtard précisément pour l’accomplir. C’est à la suite de cette compréhension qu’il parla, mais en parlant il ne faisait que traduire dans son langage les deux paroles, celle du prophète et celle qu’il trouvait écrite dans sa propre existence. En la traduisant, il jouait à la fois le personnage de cette parole – Lo-Ami – et le sujet qui l’avait écrite : Dieu.

   La vocation prophétique de Jésus se trouve dans cette lecture. Jésus était pour sa génération ce qu’Osée fut pour la sienne : il était l’énigme que Dieu offrait à la vue du monde. De même qu’Osée, mari trahi par sa femme et père d’enfants de prostitution, portait en énigme, pétri dans sa propre chair, l’amour de Dieu abandonné par Israël, Jésus, enfant bâtard rejeté par son peuple, s’offrait comme image visible des fils d’Israël qui, contrairement à la tradition, n’étaient pas des enfants légitimes d’Abraham mais des bâtards.
   Jésus devenait ainsi légitime par la reconnaissance que Dieu était son père. Le fait d’assumer la condition de son existence comme un signe du langage de Dieu le soustrayait de la malédiction pour le situer dans la bénédiction de Dieu. Il était légitimé, non pas cependant par son moi mais par un sur-moi qui le rendait apte à personnifier Dieu et à jouer la tragédie racontée par le prophète. Jésus fut légitimé moins par adoption que par vocation prophétique, dès lors sa vie ne pouvait être que l’accomplissement du drame du prophète(1).

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(1) Dans les évangiles, les actes et les paroles de Jésus sont considérés comme un accomplissement messianique du Christ des Écritures (Mt 1:22 ; 2:15;17;23 ; 3:15 ; 8:17 ; 12:17 ; 13:35 ; Mc 14:49 ; 15:28). On y trouve aussi que Jésus a eu conscience d’être venu dans le monde pour y accomplir les Écritures (Lc 4:21 ; 22:37 ; Mt 5:17). Ces affirmations ont une valeur biographique, si on les comprend comme accomplissement prophétique et non messianique.    Retour au texte




1984




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u0972000 : 16/04/2018