Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
- Introduction
- La purification
- La crise
- Les références bibliques
- La vision d’Osée
- Le message d’Ézéchiel
- Le Dieu de Jésus
- La personnalité de Jésus
- Le discours
- Résumé
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
La recherche de la genèse du discours implique aussi celle de la personnalité prophétique de Jésus. Les disciples de Jean avaient porté plainte contre Jésus à la suite d’une dispute qu’ils avaient eu avec lui au sujet de la purification par le baptême, lorsqu’ils découvrirent qu’il baptisait. À leurs yeux un bâtard, étant impur par naissance, ne pouvait pas exercer un ministère de purification. Jésus a dû leur répondre par un dilemme : ou le baptême purifie des péchés et celui qui le reçoit devient pur par son office, ou il ne purifie pas et alors pourquoi le considérer comme une chose sacrée, qui ne pourrait pas être touchée par un homme impur de naissance ?
Jean trancha en faveur de ses accusateurs, Jésus se trouvant ainsi ramené à la situation d’origine de sa crise spirituelle. Le désir du père et de la mère, sublimé dans une perspective ascétique d’existence, émergea de nouveau. Mais où trouver son père et sa mère, si l’un l’avait abandonné et l’autre exposé, et si le peuple lui-même le rejetait ? Il ne pouvait les retrouver qu’en les niant à son tour, afin que Dieu lui-même les lui donne à nouveau. Mais Yahvé, Dieu d’Abraham et d’Isaac, Dieu de cette mère, de ce peuple qui l’avaient rejeté, pouvait-il lui donner un père et une mère sans changer lui-même ?
C’est ici que la lutte intérieure dans laquelle Jésus s’engage devient prométhéenne : Jésus ne pouvait devenir un homme légitime et libre que si Dieu s’était converti à l’homme, cessant d’être Dieu de la génération charnelle pour devenir père des bâtards ! Jésus porta alors son regard sur les Écritures pour rechercher une réponse à ses doutes.
Dans la Bible, deux prophètes offraient à Jésus des messages où Dieu, face au refus de l’homme de revenir à lui, se convertit à lui : Osée et Ézéchiel. Dans le message d’Osée, Dieu aime Israël bien qu’elle soit une prostituée et que ses enfants soient des bâtards : il devient père par-delà toute légitimité. En Ézéchiel, Dieu purifie lui-même Israël par-delà le sacrifice rituel, afin qu’il puisse rester son maître.
Jésus trouva la solution de sa crise chez Osée, mais en dépassant les limites de son message : tandis qu’Osée laisse percer l’espérance du retour de l’épouse, Jésus fonde son message sur la constatation que l’épouse n’est pas venue à la rencontre de l’époux. Il ne reste donc aux enfants bâtards qu’à se sauver sans elle, en se rendant eux-mêmes auprès de Dieu. Mais dans la mesure où l’épouse ne revient pas à l’époux, Dieu ne peut pas ne pas la condamner, entraînant aussi ses enfants à plaider contre elle, à la haïr, à prendre une part active à sa mort. Le bâtard retrouve son père par la mort de sa mère, par la destruction du judaïsme.
Cette inclination de Jésus vers Osée le mettait en opposition avec le message d’Ézéchiel, et aussi avec la première résolution de sa crise, qui avait été apportée à la lumière de la vision messianique d’Ézéchiel. Dans ce cadre, le discours de Jésus ne se donne à comprendre que comme un message de rupture avec Ézéchiel. J’ai saisi ici l’occasion de chercher à déterminer l’influence du message d’Ézéchiel sur la prédication du baptiste et même à retrouver les thèmes du discours de Jean, que les évangélistes lui avaient ôté de la bouche pour les mettre dans celle de Jésus.
Qui est donc le Dieu de Jésus ? Il se laisse entrevoir dans le cadre d’une synthèse dialectique entre le Dieu d’Osée et celui d’Ézéchiel. Pour ces deux prophètes, Dieu est le père de ses enfants par la relation à la mère. Chez Osée, cette relation l’oblige à cesser d’être maître, pour ne devenir qu’époux. Chez Ézéchiel, elle l’oblige à rester maître et à renoncer d’être époux. En Jésus, Dieu est père de ses enfants par la mort de leur mère. Dieu est père dans une relation pure de paternité, par-delà la génération et la race, la tradition et la culture. Il est père non plus d’un peuple mais des hommes.
En retrouvant Dieu comme père, Jésus a retrouvé aussi son propre moi, que la société avait aliéné parce qu’il était sans père. Il existait donc en homme légitime et libre, il fut aussi prophète. Il avait en effet retrouvé son propre moi parce qu’il était à la fois écrit d’avance dans le message d’Osée et gravé dans l’histoire de sa propre existence, comme une énigme. Sa condition d’homme bâtard n’était qu’un signe, une lettre qui renvoyait au fils prophétique d’Osée, Lo-Ami, le « non-plus-peuple », né d’une prostituée. En déchiffrant l’énigme, Jésus incarna Lo-Ami dans sa propre existence : désormais, il ne pouvait plus vivre qu’en exprimant par ses actes et ses paroles la signification de Lo-Ami, c’est-à-dire que la génération d’Abraham n’était plus le peuple de Dieu mais des enfants bâtards, que Dieu ne reconnaîtrait que s’ils plaidaient contre leur mère. Jésus ne pouvait exister que comme prophète, son discours fut la première annonce de ce message qu’il incarnait dans sa personne.
|